Plus le temps passe, plus j’ai tendance à me montrer impatient, pour ne pas dire intolérant, envers les romans de peu d’exigence. Ces livres cherchent avant tout à divertir un public (vocabulaire de la télévision appliqué à la littérature), sans réel travail de cette matrice qu’est la langue, sans pétrissage de la pâte littéraire, pour ainsi dire sans personnalité ni style (c’est égal).
Ces livres ne tiennent qu’à un fil, celui de leur intrigue : que celle-ci boite, le roman devient caduc (le lecteur tombe). Et même si l’intrigue est haletante (vocabulaire du sport appliqué à la littérature), j’en sors toujours avec cette impression de soif non étanchée : c’est que ces livres sont arides en pensée.
Aussitôt lu, pardon, dévoré (vocabulaire de la boulimie appliqué à la littérature), le page-turner sombre dans les profondeurs du cimetière des livres que je ne relis pas : ils sédimentent en des piles anonymes et impersonnelles, qu’un explorateur ennuyé des abysses redécouvrira le temps d’un week-end passé en apnée dans une maison de campagne poussiéreuse.
Un roman n’est pas une intrigue, c’est une galerie de personnages qui, appelés par l’auteur, montent sur la scène du livre ouvert. L'histoire, c'est les perles de transpiration que les acteurs ont abandonnées sur cette scène. Les bons écrivains, ceux qui écrivent, sont des comédiens. Seuls les mauvais, ceux qui n’écrivent pas mais racontent des histoires, sont des marionnettistes.
J’entends déjà le vol des harpies qui crachent sur le style, si onaniste, si germanopratin. C'est que, paresseuses, elles veulent une intrigue à grosses ficelles, des péripéties, du romanesque (elles veulent dire rocambolesque), pour se divertir à peu de frais. Nonsense ! Ces gens-là confondent roman et moteur à explosion, histoire et dos-d’âne : ils avancent par rebondissements successifs, tout droit dans le fossé de la pensée.
Ici, l’auteur de ces lignes à juger utile de procéder à un rappel : le style n’est pas la forme, car pas plus que de fond il n’y a de forme. Le style, c’est l’auteur. Le style, c’est la pensée faite mots (vocabulaire de la cabale appliqué à la littérature). Un rien le signale : une virgule qui s’invite entre deux mots pour faire trébucher le rythme de la phrase, une image qui s’impose à nous, rémanence à la beauté coruscante, une ellipse qui sème les étourdis… mais aussi des obsessions, des rengaines, des tics. L’essence est dans les apparences, mieux : dans la transparence qui fait affleurer l’auteur sous la surface de son encre. Les auteurs sont des écorchés, ils n'ont plus de peau pour se protéger.
Avec tout ça, je finirai vieux con.