Je m’étais dit : «Mozart et le rock indé, bon, c’est bien, mais il faut que j’écoute un peu autre chose, de la musique de jeune, un peu comme Daft Punk» (que je me surprends à aimer, quand je ne me crispe pas sur ma montre, en attendant la fin de ces boucles interminables qui font le charme si caractéristique de ce groupe). Je vais écouter «Justice», donc, puisque même Télérama en dit du bien. Je tombe sur « DANCE », et je fuis au bout de 18 secondes d’écoute, les petits chanteurs à la cross de bois n’ayant jamais été ma tasse de thé. «Insiste, tu verras, c’est bien», me dit mon vieil ami Nicks, toujours impitoyable envers la chanson-française-de-qualité, mais très ouvert sinon, même à l’électro hype plutôt fédératrice. À force d’insister, voilà que je me retrouve à un concert de Justice, et je vous épargne les étapes de cette conversion inattendue. «Fédérateur», c’est effectivement l’adjectif qui vient à l’esprit, quand on observe le public et son comportement durant les premières parties (car, hélas, il y en a eu deux). Une pom-pom girl, vêtue d’une improbable salopette, se trémousse sur fond de variété remastérisée par un DJ qui se permet toutes les audaces … en matière de mauvais goût (on a eu droit à « the final countdown », souvenez-vous, ça va vous revenir). Une partie de la salle s’échauffe dans la fosse, et s’en donne à cœur joie, tandis que l’autre, assise, prend son mal à patience, et ose quelques sifflets pour essayer d’abréger la torture. C’est exactement ça Justice : une musique qui fédère les trentenaires amateurs d’électro et les ados amateurs de beats (« putain, Justice ça déboîte »). Du gros son qui déboîte, en effet, mais des empilements d’amplis Marshall en guise de dispositif scénique, qui fonctionnent clairement comme un principe de distinction, en rappelant les installations de Jeff Koons. Justice c'est un peu de pub, du merchandising, mais aussi la couverture de Télérama, et un clip du fils Gavras, qui joue, à l’évidence, sur la conception légitime de l’œuvre d’art comme opacité, objet devant être interprété. Il y en a donc pour tout le monde ; sauf que, quand même, on a l’impression que c’est le côté dance-floor/big rave partie qui l’emporte un peu, dans l’ensemble ; les titres s’enchaînent avec un art consommé du faire-danser, un peu appuyé parfois : attention le rythm of the beat va aaaaaaaaaarrrrrrriiiiiiiivvvveeeeeer, et il arrive (bom, bom, bom,etc. ). On prend, au demeurant, grand plaisir à retrouver les morceaux de l’album complètement transfigurés, hâchés, dispersés, ou réduits à l’état de trace, de vestige, ou de leitmotiv. Précédée d’un long crescendo, « Genesis » prend toute sa dimension d’ouverture wagnérienne ; « Stress » est littéralement dépecé, comme dans un exercice de style qui aurait consisté à en dégager les éléments constitutifs, à les épurer, en vue de sur-dramatiser l’ensemble ; l’inévitable «because we are your friend » vient juste après, et, là, sur fond du clip désormais bien connu, on ressent comme l’expression d’une vague solidarité émeutière, qui rend plutôt sympathiques nos deux parisiens branchés. Le thème de « Phantom » est intelligemment traité comme un leitmotiv discret, et « DANCE » passe, indolore, même pas mal. L’album est pris dans un gigantesque maëlstrom sonore et rythmique, qui tantôt le condense, tantôt le dilue. Où sont passées les basses slappées de l’album , par exemple ? Les rappels nous envoient, à l’inverse, des bomb-bass à vous décoller la plèvre, et nous assomment avec un final étonnamment métal(les amplis Marshall, c’est des amplis de guitare non ?), furieux, dans un crescendo rythmique qui nous laisse pantois…et heureux.
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