[Critique] DÉLIVRE-NOUS DU MAL
Titre original : Deliver Us From Evil
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Scott Derrickson
Distribution : Eric Bana, Edgar Ramírez, Olivia Munn, Chris Coy, Sean Harris, Joel McHale, Dorian Missick, Mike Houston…
Genre : Thriller/Horreur/Épouvante/Adaptation
Date de sortie : 3 septembre 2014
Le Pitch :
Flic dans le Bronx, Ralph Sarchie côtoie toutes les nuits la violence et la noirceur. Habitué à frayer avec les pires représentants du genre humain, il est néanmoins désarçonné par une série d’événements semblant tourner autour d’un seul et même homme. Un ancien soldat à l’influence malsaine, qui pousse certaines personnes de son entourage à commettre les pires atrocités. D’une nature septique et terre-à-terre, le policier est alors confronté à des phénomènes qui le dépassent, s’enfonçant peu à peu lui-même dans une spirale infernale sur laquelle il a de moins en moins d’emprise. Lorsque un jeune prêtre se présente à lui, Ralph refuse de voir la vérité en face, mais doit rapidement se rendre à l’évidence, et accepter l’aide de l’homme de foi, afin de combattre une forme de mal perfide à la puissance dévastatrice…
La Critique :
C’est auréolé du succès de son Sinister, que le réalisateur Scott Derrickson revient dans les salles obscures avec un nouveau film d’épouvante. Chaperonné cette fois par le fameux producteur Jerry Bruckheimer, le cinéaste renoue pour l’occasion avec un thème qui lui semble cher, à savoir la possession démoniaque. L’influence du Malin ne prenant pas possession d’une innocente jeune fille , comme dans L’Exorcisme d’Emily Rose, mais de plusieurs personnages, pour une histoire inspirée de l’expérience d’un authentique flic new-yorkais ayant écrit un bouquin suite à sa rencontre avec un démon au détour d’une enquête particulièrement traumatisante.
Délivre-nous du mal est donc estampillé « inspiré de faits réels ». À chacun de se faire sa propre opinion, mais une chose est sûre : ce genre d’argument fait vendre. Même si c’est de moins en moins le cas, à cause des innombrables trucs du genre qui sortent à longueur d’année…
Cela dit, Delivre-nous du mal ne se résume pas à un simple film de possession démoniaque. Un détail qui lui permet de trouver le salut. En greffant les gimmicks du pur film d’épouvante aux codes du thriller, le métrage de Derrickson arrive à s’extirper de justesse de la masse, et s’élève donc au dessus de la plupart des trucs en rapport avec les exorcismes, que le cinéma américain a pu nous proposer ces dernières années. Le paranormal est présent dès le départ, mais son influence croissante sur les protagonistes est insidieuse et grandissante. La progression est relativement bien rendue à l’écran, en cela qu’elle jouit d’une atmosphère poisseuse propre aux films policiers réussis.
Malheureusement, cette évolution du fantastique ne se fait pas toujours très finement. Derrickson n’hésite jamais à avoir recours à de bons vieux sursauts en carton, dont la plupart s’avèrent tout juste bons à déclencher de stupides réparties même pas drôles de la part du coéquipier du héros. Rien de grave dans un premier temps, car en parallèle, d’autres éléments, mieux contrôlés, font mouche. L’ambiance est prégnante, parfois vraiment angoissante, et les ressorts dramatiques inhérents à la psychologie des deux personnages principaux fonctionnent assez correctement et viennent nourrir la dynamique de l’ensemble. Tragiquement, au bout d’un moment, alors que pointe le dénouement, le réalisateur se lâche. Il laisse en plan certains détails. Le plus flagrant étant cette utilisation massive des chansons des Doors. Jamais on ne sait pourquoi cette femme possédée chante Break on Throught et jamais on ne comprend pourquoi Eric Bana entend Jim Morrison chanter quand s’acharnent sur lui les forces du mal. Alors que des longs-métrages comme Le Témoin du mal arrivaient à justifier l’utilisation du Time is on my Side des Rolling Stones (que le tueur fredonne à plusieurs reprises), celui-là ne propose jamais d’explication logique.
Un détail parmi d’autres, plus dommageable qu’il n’y paraît, car vraiment symptomatique de la propension du film a en rajouter des couches. À sortir des vannes qui désamorcent l’angoisse également. Pour rien, juste comme ça, pour le spectacle. Sans que ce soit super utile, on nous montre à intervalles réguliers des images super violences, pour ne pas dire traumatisantes, et on cherche à nous faire marrer un bon coup. On insiste bien sur le caractère malsain du boulot du héros, à grand renfort de corps mutilés, comme dans un nombre incalculable d’œuvres qui ne se basent que sur les petits détails gerbants pour tenter de gagner en épaisseur ; avant de voir le Prêtre chanter ce qui ressemble à une chanson de Ricky Martin, pour éloigner les mauvais esprits…
Ce qui est ici incompréhensible, c’est que le métrage de Derrickson possède un vrai scénario. Un script intéressant, globalement bien construit, qui n’en demandait pas tant, et surtout cette inexplicable dose de bouffonnerie insistante. Et c’est d’autant plus regrettable qu’à côté, Délivre-nous du mal fait très bonne figure sur un plan purement formel.
À l’instar de Sinister (plus light niveau clichés et donc plus efficace et direct), le dernier film de Derrickson témoigne des compétences techniques de ce dernier. Sa mise en scène est lisible, parfois vraiment enveloppante, et possède en cela un véritable caractère. Ses scènes inutiles, pour ne pas dire complaisantes, apparaissent alors au final comme de petits filets de sécurité, dressés par un réalisateur maladroit, trop habitué à charger la mule, et visiblement incapable de procéder à un savant dosage, pour laisser ressortir les qualités évidentes de sa réalisation.
Pour autant, si Délivre-nous du mal n’y va pas avec le dos de la cuillère et finit irrémédiablement à ressembler un peu trop à un gros bordel en roue libre, il garde la tête hors de l’eau. Merci à Eric Bana, impeccable, au charismatique Edgar Ramirez, garant du rôle le plus casse-gueule du lot, et à Sean Harris, parfait en barjot possédé par le démon. Des comédiens gardiens d’une intégrité qui fait parfois défaut à ce thriller horrifique méritant, mais trop bancal. Un peu comme ce générique de fin, aussi visuellement opportuniste qu’absurde, si on en juge l’utilisation d’images qui n’ont pas de rapport direct avec le film, sur une musique des Doors, dont Derrickson est fan.
De quoi noyer en somme la réflexion pertinente sur les dommages collatéraux des soldats revenus au pays, que le long-métrage propose par le biais de ces trois fantassins victimes d’un démon débusqué au fond du caverne, sur le front. La guerre étant dans le viseur d’une série B qui se rêve pamphlet de genre virulent…
On ne saurait trop conseiller au réalisateur d’apprendre à canaliser ses pulsions pour enfin aller au bout des choses et laisser un peu respirer ses œuvres. Car Délivre-nous du mal, comme Sinister, est un film mi-figue, mi-raisin. Il emballe, puis refroidit. Tout du long. Au point d’en ressortir en se disant que le vrai bon film d’horreur n’est pas super loin, mais qu’il y a quand même du boulot pour y parvenir.
@ Gilles Rolland