Au départ, c’est la catastrophe, les grands-parents bombardés tout à côté de l’orangeraie familiale. Le lecteur n’a pas le temps de rencontrer les grands-parents, ce qui éloigne toute tentation mélodramatique. On se retrouve dans un face à face avec la famille éplorée, le fils, sa femme et leurs jumeaux de 9 ans, Amed et Aziz.
Un des jumeaux est malade, on doit le faire soigner. On réalise rapidement jusqu’à quel point cette famille échange avec peu de mots, sans effusion émotive. Ce qui n’est pas dit, alourdit continuellement ce qui se dit. À travers les silences, et l’isolement que l’on sent planer, le plaisir est précieux de faire connaissance avec la complicité des jumeaux. Leurs dialogues enfantins, on les savoure, on s’y rattache, ils nous sauvent d’une réalité qui, sinon, serait dure. Ainsi le message passe. Cette famille ne restera pas longtemps à contempler les plaies ouvertes de la perte, des personnes de l’extérieur viendront leur rendre visite pour réclamer leur collaboration à se venger. Sont-ils bien intentionnés, en tout cas, le lecteur sent clairement la menace. Le danger rode, il devient quasiment un personnage.
La complicité des jumeaux ne se démentira jamais, la mère que l’on voit travailler par en-dessous est captivante, c’est un personnage plus fort que le père, malgré les apparences.
Le thème central qui chapeaute les autres est la manipulation, les ficelles seront mis au jour. Dans le contexte de la guerre, l’enjeu devient grave, tragique. L’orangeraie, le gagne-pain s’étend comme une tâche joyeuse qui contraste avec le tragique du propos.
De l’intuition, du mystère, de la symbolique, de la poésie, du romanesque, de la tragédie sans voir de sang, ce roman m’a donné l’impression de se dérouler sur la scène, où il n’est pas nécessaire de montrer la cruauté des actes pour qu’on la sente. Les mots pesés en surface et les silences en profondeur travaillent en douceur. Le roman se termine par ailleurs, sur une scène, ce qui allie bien la théâtralité dégagée par la force brutale de l’honneur qui entache les décisions.
Un roman qui arrive à faire avaler des pilules amères sans miel et sans larmes. J’ai pris plaisir à ma lecture malgré sa dureté ce qui lui confère, à mon avis, une qualité rare.
Prix des libraires 2014, en définitive, L'Orangeraie publié chez Alto a bien gagné ses épaulettes !