Un matin, le petit Mohammed et son cousin plus jeune encore sont emmenés dans une école militaire. Le père de Mohammed, lui-même militaire, y a tenu, ce père qui s’est auparavant montré si tendre, si affectueux, qui était tout pour l’enfant. Mohammed découvre alors la rigueur, l’ambiance stricte et dépersonnalisée. Il est un matricule parmi les autres matricules et doit se tenir loin et droit devant les adultes et attendre indéfiniment le dimanche une visite paternelle qui ne vient pas. Heureusement, une vraie solidarité se noue avec les autres cadets. Malgré une réelle application pour sa tâche, l’intérêt de Mohammed se tourne ailleurs, vers les romans, les contes, les histoires qu’il lit et qu’il écrit. Le voilà souvent à s’enflammer dans ses rédactions,à rester à l’écart du groupe pour lire ou même à monter une troupe de théâtre. De quoi attirer les foudres de ses supérieurs qui ne voient pas d’un très bon oeil son côté rêveur.
Il s’agit là de l’autobiographie, ou plutôt du récit d’enfance, de l’écrivain Yasmina Khadra. J’ai souvent du mal avec les autobiographies mais celle-ci a clairement une ligne directrice : confronter le monde de l’imaginaire et du rêve qui pousse tout écrivain à prendre la plume avec l’enfance algérienne qui forme le sous-titre. Tout lecteur se reconnaîtra dans les passages où le petit Mohammed s’évade en se comparant à ses héros de fiction, en dévorant les contes les uns après les autres ou en s’exaltant sur les planches pour incarner des personnages sortis de son imagination. Sans forcer le trait, l’école militaire algérienne apparaît sous un jour plutôt sombre: une armée qui embrigade les enfants trop jeunes et voit d’un mauvais oeil ceux qui sont capables de trop penser et de s’exprimer. Sois un bon soldat et arrête de jouer au poète! On comprend que plus tard, lorsqu’il décidera d’évoquer certaines horreurs dans ses romans, Mohammed Moulessehoul préfèrera choisir un pseudonyme, depuis longtemps convaincu que ce nom qu’il tient de son père n’apparaîtra pas impunément sur une couverture.
Mais en parallèle, on suit une histoire familiale très touchante, ce divorce d’avec ce père dont il se sent abandonné d’abord à l’école puis lorsqu’il prend différentes épouses. J’ai eu un pincement au coeur devant cet enfant d’une dizaine d’année qui semble n’attendre qu’un geste d’affection de son père, mais qui se retrouve démuni avec sa mère et ses frères et soeurs lorsque celui-ci décide de les jeter à la rue. Même si c’est chose normale dans l’Algérie de son enfance, c’est aussi contre son père, contre l’univers qu’il représente et les choix qu’il a fait pour lui que se construit l’enfant, même s’il n’est pas en position de révolte effective. “Enfance évincée, adolescence confisquée, jeunesse compromis” dit-il. Ce livre, c’est une vocation qui se forge, mais qui attend son heure.
La note de Mélu:
Non seulement très instructif, mais réellement agréable à lire.
Un mot sur l’auteur: Yasmina Khadra est le pseudonyme de Mohammed Moulessehoul (né en 1955). Cet écrivain algérien choisit pour pseudonyme les deux prénoms de son épouse, et ne révèle son identité qu'en 2001 avec ce livre. Il vit en France depuis cette époque et écrit en Français. D’autres de ses lires sur Ma Bouquinerie: