Note : 4/5
Cette année, ils étaient trois. Trois à être passés par La Femis et à se présenter sur la croisette cannoise. L’une d’eux, Rebecca Zlotowski, dans le jury de la semaine de la critique, les deux autres, Thomas Cailley et Samuel Theis, dans la compétition avec respectivement Les Combattants dans La Quinzaine des Réalisateurs et Party Girl dans Un certain Regard.
Deux films qui ont fait parler d’eux : Party Girl en gagnant la caméra d’or, et Les Combattants en gagnant le prix FRIPESCI. Exotique, mouvementé, drôle, le bruit qu’avait provoqué Thomas Cailley avec Les Combattants se confirme : bienvenue dans une vague de fraîcheur pour le cinéma français.
© Haut et Court
L’école buissonnière post-adolescente
Arnaud, un jeune homme de la vingtaine, vacille entre son travail dans l’entreprise familiale de fabrication de cabanes et sorties avec les copains durant les vacances d’été, en Aquitaine. Il s’arrête un jour devant un camion faisant la promotion de l’Armée de Terre dans le sud, et est amené à rencontrer Madeleine, jeune femme cassante et sur-engagée dans une quête personnelle : celle de la survie face à une fin du monde imminente. Tombant sous le charme de sa folie, Arnaud décide de la suivre dans un stage militaire qui les mènera à la recherche d’une survie invisible. Les voici plongés dans un parcours du combattant de l’amour.
A travers une histoire relativement simple, le film séduit. Dès la rencontre entre nos deux protagonistes, leur fausse rivalité plaît. L’exotisme et la pluralité des lieux, aussi, séduit. La cause de cette séduction est simple : le panache d’une mise en scène à la fois légère et puissante ; le mélange d’une tonalité douce due à un romantisme timide et d’une gravité affolante provoquée par l’imperceptible et mystérieuse apocalypse ; surtout, la complicité cachée des deux acteurs principaux, la folie d’Adèle Haenel combinée avec la maladresse amoureuse de Kevin Azaïs. Le résultat en est la revisite de La Ballade sauvage de Terrence Malick version Candide, qui rend dès lors le film atypique.
Le parcours des genres, des lieux
Thomas Cailley a fait des Combattants un vrai cocktail de genres tout en parvenant à en faire un film doux et léger. On retrouve dans l’aventure des « survivants » une comédie, un film d’amour, un teen-movie, et un film fantastique. La comédie tient à ce duo nuancé et attachant, celui qui unit une femme encore immature qui aurait vu Melancholia et l’aurait confondu avec la réalité en ne voyant comme issue que celle de la préparation physique à toute catastrophe, et un jeune homme faisant exprès de rentrer dans son délire. La romance cocasse oppose la force de caractère de Madeleine et ses névroses à la fragilité touchante d’Arnaud. Le surgissement inattendu du surnaturel laisse partir leur survie en fumée pour conclure le récit et la morale avec brio.
© Julien Panie : Haut et Court
Cette maîtrise du récit est en partie due à son enchaînement en trois parties : la vie d’Arnaud dans son contexte familial et sa rencontre avec Madeleine, leur initiation militaire pendant le stage et leur fuite sauce Bonnie & Clyde dans la forêt.
Si la première présente le quotidien des personnages avec différents lieux d’Aquitaine de manière ultra-colorée, la deuxième montre un stage type « devenir militaire pour les nuls » placé sous le signe de la caricature, car il s’avère être tout sauf finalement autoritaire. La troisième partie présente l’avènement du fantastique tant attendu – ou non (la survie face à la catastrophe naturelle) avec une réelle séquence d’héroïsme que l’on n’avait pas vue depuis longtemps. Les trois parties ont en commun de dépeindre un tableau de la jeunesse contemporaine, toujours avec humour et finesse : sans trop de perspectives de futur, toujours légèrement innocente derrière l’autorité, fuyant le quotidien sous n’importe quel prétexte.
Le film se distingue et charme par sa représentation de la jeunesse : sans revendication politique, mais en crise tout de même.
L’exotisme dans l’image et la forme
Il est nécessaire de soulever le dernier point fort des Combattants : sa forme post-new wave. Puissante, elle l’est : musique electro, du remix « Right Now » de Yuksek aux compositions de Lionel Flairs, typo jaune sur fond noir, mixité totale de la lumière tenue par son propre frère, David Cailley, en directeur de la photographie, qui mélange les couleurs de la même façon que le récit mélange les genres. Un peu éloigné du naturalisme, avec des contrastes forts, l’univers tend parfois vers l’onirique ou le surnaturel, mélangeant éclairages artificiels et naturels, obscurité et lumière.
On passe donc du bleu ciel et du jaune de la plage au verdâtre de la jungle, en passant par les néons bleu flashy de la boite de nuit et le marron militaire, tout cela accompagné pour la majorité de plans fixes et de plans en caméra-épaule dynamiques.
© Haut et Court
Voici donc le combat inattendu de cette année 2014, qui frappe et qui marque par sa puissance : celui de deux jeunes qui cherchent à s’ouvrir au monde.
Thomas Olland
Film en salles depuis le 20 août 2014.