Pour l'hyponcondriaque que je suis, passer une heure et demie en imersion totale dans un service de médecine générale d'un grand hôpital parisien peut-vite se réveler être assez anxiogène, comme peut d'ailleurs l'être tout film qui touche de près de loin aux malades et à la maladie, à l'image de ce que j'avais ressenti en allant voir le si angoissant "Amour" de Michael Haneke.
Et pourtant, lors de la projection la semaine passé en avant première du film "Hippocrate", qui sort demain en salles, ce n'est pas vraiment du stress que j'ai ressenti mais bien avant tout l'admiration devant cet excellent film français qui a fait la clôture de la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes et Valois d'or du Meilleur long-métrage au récent Festival du film francophone d'Angoulême (une récompense que le metteur en scène Thomas Lilti a du aller chercher en vitesse à Angoulème le soir de l'AVP à Lyon laissant ses deux acteurs principaux se débrouiller avec les questions du public)
Et dieu sait que cet "Hippocrate" nous montre tout ou presque du quotidien d'une unité hospitalière, puisque le film est dans la droite lignée de ces longs métrages tels que "Polisse", "Le Petit lieutenant" ou encore "L 627", bref ces films étonnants de réalisme sur la vie d'un service avec cette entraide et parfois ces trahisons entre collègues, ces urgences à traiter, ces moments de découragement et au contraire ces grands bonheurs qui rendent soudain nécessaire son travail.
Si "Hippocrate" sonne si juste dans ses situations et ses dialogues, c'est qu'il est (librement) inspiré de l’expérience de son réalisateur, Thomas Lilti, généraliste dans une structure hospitalière, et qui signe ici son second long métrage après un premier qui n'avait rien à voir avec son domaine de prédilection.En effet, aussi incroyable que ca puisse paraitre, tant rarement les cinéastes ont deux casquettes aussi radicalement différentes l'une que l'autre, le jour, Thomas Lilti est médecin, et à son temps libre, il est scénariste et réalisateur et avant cet "Hiippocrate" ces deux mondes ne s'étaient pas rejoints.
Si le film dégage une telle énergie et donne au spectateur l'impression de ne jamais pouvoir reprendre son souffle, c'est qu'il utilise- comme Maiwenn dans "Polisse"- une caméra sans cesse en mouvement, avec des séqences dans lesquels les personnages vont et viennent sans se soucier du cadre
Mais contrairement à ces films que j'ai cité, et alors qu'on pouvait s'attendre à une chronique sociale plutôt dramatique de bout en bout, la première partie, où l'on suit à la trace le jeune interne Benjamin (Vincent Lacoste qui s'émancipe un peu de ses rôles d'adolescents boutonneux dont il était l'expert depuis Les beaux gosses) dans sa difficile appréhension du monde si particulier de l'hôpital public, est vraiment décrite sous le ton de la comédie.
De sa première ponction lombaire au premier décès auquel il va devoir faire face sans y être vraiment préparé, le jeune interne va en effet découvrir avec pas mal d'effroi et d'étonnement les rouages d’un système hospitalier qui fonctionne tant bien que mal avec de moins en moins de moyens et Vincent Lacoste offre à ce récit iniatique et à son personnage son côté lunaire, presque burlesque, qui sied à merveille à cette douloureuse prise de conscience.
Mais cet aspect comédie (moins présent dans la seconde partie) n'élude en rien la situation particulièrement délicate du système hospitalier français, coincé entre sa mission de soigner le mieux possible les malades qui lui sont confiés et des critères de rentabilité de plus en plus importants, et qui poussent des services à se renvoyer les patients afin de libérer des lits.
On est parfois à la lisière d'un documentaire, ce qui peut parfois me gêner dans certains films de fiction, sauf qu'ici, le scénario, parfaitement maitrisé, est terriblement romanesque; les scènes du début que l'on pensait simplement anodines ayant une importance capitale dans la fin du film.
Et d'autres thèmes tels que l'accompagnement de fin de vie (Loi Léonetti) ou le sort des médecins étrangers font de cette plongée dans les rouages de l'hopital public une oeuvre à l'opposé de ses séries américaines sur le monde hospitalier dont je ne suis pas un grand fan.
Si le long métrage de Thomas Lilti enchante autant, encore plus que pour sa grande justesse de ce portrait vivant et assez effrayant des coulisses de la Santé en France, c'est avant tout pour la grande qualité de son écriture, tellement vivante et conférant un sens naturel aux dialogues qui fait merveille."Hippocrate" ne peut que séduire par ce regard différent, la précision avec laquelle les rapports humains sont décrits, sans oublier ses personnages très attachants, avec en tête de ligne le décidement sensationnel Reda Kateb dans le rôle de ce médecin chevronné en Algérie mais obligé de redevenir interne en espérant d’avoir son équivalence, avec qui Benjamin va peu à peu se lier...
Car "Hippocrate" est également le récit d'une belle amitié qui devra se construire dans les obstacles et même les trahisons... Mais chut, n'en disons pas plus, et espérons que ces quelques lignes vous auront convaincu d'aller voir cet Hippocrate qui pour moi, figure incontestablement parmi les plus belles surprises du cinéma français de cette année- encore plus que les Combattants qui avait pourtant encore mieux marché lors de sa présentation cannoise...Alors, est ce que vous serez autant séduits que moi? Réponse d'ici demain....
"40 bières par Jour ?" HIPPOCRATE Extrait du Film avec Vincent Lacoste