Guillaume Nicloux, 2013 (France)
Alors que l’écrivain était censé être de sortie médiatique, en 2011, l’absence de Michel Houellebecq fait naître la rumeur d’un enlèvement. De là, Guillaume Nicloux construit une fiction qui a la teinte froide du documentaire et qui, selon ce qu’on lit car le film sur nous n’a pas eu de tels effets, ouvre non seulement le spectateur sur la possibilité d’une hilarité, mais, ce qu’il est plus facile d’attester, étend surtout le domaine de l’improbable.
A Paris, Michel erre lentement. La clope entre les doigts, presque un fantôme qui inspire la sympathie. Dans la rue ou au parc, ses rencontres sont polies, ses échanges vaguement souriants et maussades. Par exemple, à l’entrée d’une église, quand on l’interroge sur sa présence là, il dit apprécier les messes d’enterrement. La silhouette chétive qui se promène dans la grisaille, c’est bien Houellebecq. Prenant le chemin de son appartement, trois tendres, deux costauds pratiquant la musculation extensive et un gitan balourd, l’attendent pour l’enlever. La pauvre figure de Houellebecq est alors promenée dans un no man’s land du Loir-et-Cher, séquestré une semaine ou deux, ça dépend des négociations car le rapt avec demande de rançon n’est pas une science exacte, enfermé dans une maison avec grilles, un chien qui pue et les parents modestes et conciliants d’un des ravisseurs. Coupé de tout et dans pareille situation, Houellebecq, le visage creusé et morose, parfois éméché par l’alcool, invente la désinvolture angoissée et la rébellion de l’apathique.
En compagnie des trois loulous, le misanthrope au Goncourt mange, boit et converse. Le réalisateur du Poulpe (1998) y exalte le cocasse. C’est ainsi que les conversations telles qu’elles ont été entamées en introduction dans les rues de la capitale se poursuivent ; passants, amis, ravisseurs, peu importe le flacon pourvu qu’il y ait l’ivresse. L’écrivain aborde tous les sujets. Mozart, Le Corbusier et l’Europe en prennent pour leur grade : le premier, de la merde, le second un architecte de camps de concentration et la troisième tout sauf démocratique. Quand pour tuer le temps ses hôtes l’initient au free fight, Houellebecq fait la démonstration d’une pugnacité larvaire. Il enrage même pour obtenir à titre définitif un briquet pour fumer en toute indépendance. Et lorsque l’homme demande une fille pour se faire un peu plaisir, il ressemble au grand-père plus gourmand que timide à qui un carré de chocolat pourrait être refusé.
L’auteur des Particules élémentaires est atteint du syndrome de Stockholm mais l’on se rend compte que, ne s’étonnant pour rien au monde des choses qui lui arrivent (contrairement au spectateur), Houellebecq trouverait certainement à faire ascèse en tout lieu et en n’importe quelle compagnie. Dans ses entretiens, Guillaume Nicloux répète que pour son film Houellebecq l’intéressait moins que Michel et au cours de L’enlèvement on prend en effet conscience de son corps fragile, de ses attitudes (ou non-attitudes) et, ce qui nourrit l’étrange, de sa capacité à subir et de son détachement. A tel point que l’on se demande si Michel n’est pas seulement réduit au corps expérimental de Houellebecq.