Je te désirerai tour à tour comme le fruit suspendu, comme l'eau lointaine, et comme la petite maison bienheureuse que je frôle... Je laisse, à chaque lieu de mes désirs errants, mille et mille ombres à ma ressemblance, effeuillées de moi, celle-ci sur la pierre chaude et bleue des combes de mon pays, celle-là au creux moite d'un vallon sans soleil, et cette autre qui suit l'oiseau, la voile, le vent et la vague. Tu gardes la plus tenace: une ombre nue, onduleuse, que le plaisir agite comme une herbe dans le ruisseau... Mais le temps la dissoudra comme les autres, et tu ne sauras plus rien de moi, jusqu'au jour où mes pas s'arrêteront et où s'envolera de moi une dernière petite ombre... qui sait où?
Colette, La vagabonde (coll. Livre de poche/LGF, 1994)