Chaque instant est comme une valise, on ne sait pas ce qu’il recèle.
Parfois sous les apparences désagréables, déplaisantes, peuvent se cacher des trésors inouïs. Le délicieux jus de cactus m’invite à moins condamner une situation promptement. Maître Eckhart m’aide aussi sur ce chemin. Il m’apprend que le chrétien devrait considérer chaque événement, chaque circonstance comme le meilleur, le plus beau, l’expression de la volonté divine. Difficile de nourrir une telle espérance ! Pourtant, je suis sûr que cette foi déplacerait des montagnes de mal-être.
Très concrètement, le métro est en retard, je médite, il n’y a pas de moments plus favorables pour pratiquer.
Le pèlerin est libre, plus ou moins, de se laisser conduire pour véritablement accueillir, apprécier peut-être chaque étape, chaque incident qui fait partie du périple. Quand j’entends les enfants dire «je n’ai pas envie », je suis à chaque fois convié à repérer tous mes «je n’ai pas envie » pour avancer plus légèrement et sans bagages sur le chemin. Souvent, je m’aperçois que ce n’est pas la difficulté qui me fait souffrir mais surtout mon incapacité à la laisser passer. Vraiment, depuis que Maître Eckhart est passé par là, l’existence a une couleur différente. Loin de l’optimisme béat, lorsque l’esprit veut condamner l’instant, j’essaie de m’incliner humblement dans un «je ne sais pas ». Au fond, nous avons sans doute les yeux bouchés en envisageant tout sous l’angle de nos envies. Et l’exercice spirituel consiste à tout simplement prendre conscience à quel point nous projetons nos pensées sur la réalité. Et si, dès maintenant, l’ascèse me demandait de tout laisser ouvert ? Contre toute attente, l’épreuve que je traverse me rapproche de la joie, peut-être. Et devant une valise qui m’est livrée à l’improviste, pourquoi ne pas prendre le risque de paisiblement la défaire ?
source : La Vie