Magazine Bons plans
Prix des lectrices de ELLE - sélection d'août Roman
Au travers de ces douze tribus - qui sont en fait ses douze enfants, est dépeint en creux le destin de Hattie, femme au foyer à poigne, femme noire dans une Amérique ségrégationniste en mutation.
Si le roman ne se focalise pas vraiment sur Hattie, c'est en négatif qu'on voit apparaître son personnage et qu'on découvre les épreuves qui l'ont forgée et faite évoluer.
Ayana Mathis ouvre le bal en 1925 avec les deux premiers-nés, les jumeaux Philadelphia et Jubilee qui décèdent encore bébés de pneumonie par manque de pénicilline. Cet épisode inaugural donne le la - la vie de Hattie ne sera pas un long fleuve tranquille. Il permet aussi de mieux comprendre le caractère de Hattie, cette femme de l'essentiel, qui n'aura de cesse de subvenir aux besoins de ses enfants, de les pousser à se dépasser, elle qu'ils surnomment le Général - alors que son mari August faillit souvent à ses devoirs de père.
"Hattie savait que ses petits enfants ne la considéraient pas comme quelqu'un de gentil et peut-être ne l'était-elle pas mais quand ils étaient petits, il n'y avait pas beaucoup de temps pour les sentiments. Elle leur avait fait défaut dans des domaines essentiels mais à quoi cela aurait-il servi de passer les journées à les serrer contre elle et les embrasser s'ils n'avaient rien eu à se mettre dans le ventre".
On passe ensuite directement en 1948, sur les pas du fils volage Floyd et le roman s'achève finalement en 1980, le temps pour l'auteur de nous avoir brossé finement le portrait d'un (presque) siècle aux États-Unis.
En suivant les différents enfants de Hattie, on découvre un rythme de vie et des inquiétudes d'époques révolues, la condition de la femme, les ambitions d'une génération.
Tous les enfants ne se ressemblent pas loin de là, et Ayana Mathis a la grande intelligence de nous éviter tout systématisme dans son récit: chaque tribu et donc enfant est dépeint à un âge différent, dans des circonstances changeantes - à la maison, loin, parfois en étant le centre du récit ou d'autres fois en étant au contraire un personnage secondaire.
Autre point fort du roman, malgré le sujet et l'époque, Ayana Mathis ne cherche pas à faire du sensationnalisme, à relier à tout prix ce qu'on connaît des difficultés de l'Amérique ségrégationniste à son récit, évitant ainsi de faire tomber ses épisodes de tribus dans le déjà-vu ou le sordide - l'Histoire ne vient jamais prendre le pas sur cette histoire de famille que souhaitait raconter Ayana Mathis.
Enfin, l'auteure a une écriture très fluide - avec un sens du détail et du mot bien choisi qui ravissent le lecteur (il faut rendre ici hommage à la traduction également).
Un très beau livre (avec toutefois des tribus parfois inégales - mais personne n'est parfait.)
Les douze tribus d'Hattie, d'Ayana Mathis chez Gallmeister.