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Jean Gadrey Brèves questions/réponses sur la croissance et ses alternatives

Publié le 01 septembre 2014 par Blanchemanche

Jean Gadrey pour /Alternatives économiques #croissance 

Jean Gadrey  Brèves questions/réponses sur la croissance et ses alternatives

Je reprends dans ce billet et dans les deux suivants une série de questions, suivies de réponses assez courtes, qui m’ont été posées dans des débats publics ou interviews, notamment, cet été, par Marie-Monique Robin en vue de son documentaire à voir prochainement (j’en reparlerai) : « sacrée croissance ! ».
POURQUOI PENSEZ-VOUS QU’IL FAUT DIRE ADIEU LA CROISSANCE ?
Il faut dire adieu à la croissance, en tout cas dans les pays riches, pour trois raisons :
1) Elle ne s’accompagne plus de développement humain et de progrès social ni de sentiment de mieux-être subjectif.
2) Elle s’accompagne en revanche de plus en plus de dommages écologiques d’une extrême gravité. Elle ne fait plus le bonheur aujourd’hui et elle va faire le malheur demain si on continue.
3) La troisième raison explique les précédentes : la croissance c’est celle d’une grandeur technique qui s’appelle le PIB, qui est utile dans son domaine technique, mais qui ne tient aucun compte des enjeux humains, sociaux et écologique. Ce PIB, comme le disait dès 1968 le sénateur Robert Kennedy, mesure tout sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue. La Commission Stiglitz a dit la même chose 40 ans plus tard !
Le culte de la croissance nous mène dans le mur, le mur écologique, social et humain, et il n’a pas de sens ! Il faut savoir qu’une croissance du PIB par habitant de 2 % par an signifierait que nos descendants auraient en 2100 six fois plus de biens à consommer, 40 fois plus en 2200, etc. !!! Quand arrête-t-on cette course folle pour réfléchir aux fondamentaux du bien vivre ? De toute façon, la croissance va s’arrêter, mais il vaudrait mieux anticiper !
La croissance vue comme une nécessité est la croyance économique la plus forte et la plus répandue depuis des décennies. Elle est bien plus répandue par exemple que la croyance dans les vertus du libre marché, car elle est présente sur presque tout l’échiquier politique, à droite comme à gauche.
Mais cela bouge et, au cours des dernières années on a assisté à des « conversions » très intéressantes. Le doute s’installe et la contestation monte. Même des prix Nobel en viennent à écrire que la fin de la croissance est plausible. Cela aurait été inimaginable il y a seulement quelques années. Les faits sont encore plus têtus que les économistes…
POURQUOI LA CROISSANCE NE REVIENDRA-T-ELLE PAS ?
Quoi que l’on fasse, la croissance va nous quitter. La principale raison a été résumée par un célèbre économiste et philosophe américain des années 1970, Kenneth Boulding, dans cette formule : « celui qui pense qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde fini est soit un fou… soit un économiste ». On peut d’ailleurs être les deux à la fois.
La croissance ne reviendra pas d’une part parce qu’on ne trouvera plus assez de ressources naturelles pour continuer à produire et consommer toujours plus, d’autre part parce que l’humanité finira par la rejeter comme une idole nuisible.
EN QUOI LA CROISSANCE ECONOMIQUE EST-ELLE INCOMPATIBLE AVEC UNE REDUCTION SUFFISANTE DES EMISSIONS DES GAZ A EFFET DE SERRE ?
Pour ne pas dépasser les + 2° d’augmentation de la température terrestre au cours de ce siècle, ce qui sera déjà grave, et ce qui à déjà commencé à produire de premiers dommages, il faudrait diminuer de 4 % par an au moins les émissions de gaz à effet de serre dans les pays riches d’ici 2050, soit 4 fois plus que ce que nous avons fait ces dix dernières années.
Ce sera difficile, mais des scénarios sérieux bien qu’ambitieux existent pour y parvenir. Mais ajouter à cet impératif vital celui de croissance, c’est comme si on appuyait sur l’accélérateur d’émissions au moment où il faut freiner très fort. Car la croissance est dans tous les cas un accélérateur de pressions sur la nature. Autant dire que pour moi la croissance verte est un mythe scientiste, une illusion dangereuse.
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS QUE LES HOMMES POLITIQUES S’ACCROCHENT A LA CROISSANCE ?
Vous avez raison de parler d’hommes politiques plutôt que de femmes, même si quelques-unes finissent par se joindre aux mâles dominants du troupeau. Le culte de la croissance est profondément masculin, lié à l’idée de puissance, de puissance matérielle, industrielle, voire militaire des nations. Le meilleur livre sur l’histoire de la création des comptes nationaux en France, écrit par François Fourquet, s’appelle « les comptes de la puissance ».
Mais il y a d’autres raisons. La croissance est vue comme LA condition impérative de tout progrès social, de la création d’emplois, de la réduction des inégalités ou de celle de la dette publique. Sans elle, les hommes politiques se sentent… impuissants. Or tous les raisonnements de cet évangile de la croissance salvatrice sont des croyances trompeuses dont il va falloir se défaire. Il n’y a aucun besoin de croissance pour améliorer la vie, pour réduire les inégalités et créer des emplois, et pour réduire l’excès de dette. J’y reviendrai.
EST-CE QUE LA FIN DE LA CROISSANCE EST SOUHAITABLE POUR LES PAYS EN “DEVELOPPEMENT” ?
Non, les pays les plus pauvres ont besoin d’un développement humain durable qui exige dans leur cas la croissance de certaines productions essentielles, agricoles, industrielles, d’éducation, de santé… Mais,
1) dans l’intérêt de leurs populations et dans l’intérêt de l’humanité, leur croissance doit rejeter le modèle productiviste et pollueur de l’Occident. Le passage direct à des économies à faibles émissions et pollutions est possible (scénarios des Nations Unies).
2) Ils en sont souvent plus conscients que nous, et certains de ces pays mènent déjà des politiques plus avancées que les nôtres.
3) Commençons par balayer devant notre porte en montrant l’exemple, notamment sur le climat.
EST-CE QU’ON PEUT « SAUVER LA CROISSANCE » EN DEVELOPPANT LES GAINS DE PRODUCTIVITE ?
La croissance passée a reposé à 80 % sur les gains de productivité. Or ces gains s’accompagnent de pertes, et ces dernières deviennent massives. Pour une raison simple : pour produire plus de quantités avec autant de travail, ce qui est la définition des gains de productivité, il faut plus de matériaux, d’eau, d’énergie, avec plus de pollutions et d’émissions. On pompe de plus en plus dans des biens communs disponibles en quantité limitée, dont les plus décisifs depuis les Trente Glorieuses ont été les énergies fossiles, pétrole en tête. Ce sont elles qui ont propulsé vers le haut les gains de productivité industriels et agricoles. Et qui ont de ce fait propulsé aussi vers le haut les émissions de gaz à effet de serre. Il faut en finir avec l’obsession des gains de productivité.
A QUI PROFITE LA CROISSANCE AUJOURD’HUI ?
Les indignés ont raison de dire que la croissance des dix ou quinze dernières années a profité essentiellement aux 1 %, à la finance, aux dividendes et à la spéculation. Stiglitz disait en 2008 « nous avons connu aux USA une décennie de forte croissance du PIB et de déclin pour la plupart des gens ».
QUEL EST LE ROLE DES ECONOMISTES DANS LE CULTE ?
Il est important en ce qu’il donne de la légitimité « scientifique » aux discours politiques magnifiant la croissance. Les économistes sont un peu les théologiens de ce culte, ceux qui analysent les saintes écritures et fondent le dogme.
Mais, du côté des économistes aussi, cela a commencé à bouger. Pas seulement des économistes sensibles aux questions écologiques, car il en existe, mais même du côté des plus médiatiques. En France, dans la période récente, aussi bien Daniel Cohen que Thomas Piketty ont émis de sérieux doutes sur la focalisation sur la croissance. Daniel Cohen a même écrit dans le Monde en janvier 2014 : « Affranchissons-nous de notre dépendance à la croissance ». Cela dit, quelques hirondelles ne font pas encore le printemps, mais elles sont bienvenues.
QU’EST CE QUE LE PIB ?
C’est la somme de toutes les valeurs ajoutées produites dans le secteur marchand, à laquelle on ajoute les coûts de production des administrations publiques, enseignement, santé, etc. Et la croissance économique, c’est celle du PIB déduction faite de l’inflation.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX REPROCHES QUE L’ON PEUT FAIRE AU PIB ?
Ce n’est pas à l’outil technique PIB qu’il faut faire des reproches car il reste utile dans son domaine de pertinence. Ce qui pose un problème est sa sacralisation comme indicateur de progrès, ce qu’il ne peut pas être parce qu’il ne compte pas ce qui compte le plus pour vivre bien dans une bonne société pouvant s’inscrire dans la durée.
Il ne tient aucun compte de la dégradation des patrimoines écologiques, ni des activités bénévoles et du travail domestique, ni de l’évolution des inégalités ou du lien social. On peut avoir une très belle croissance du PIB avec une dégradation de la santé sociale et une détérioration de patrimoines écologiques vitaux. Le PIB et ses composants sont des FLUX, des flux annuels de valeur ajoutée monétaire. Le flux PIB peut connaître une belle progression pendant que des patrimoines de société, écologiques notamment, se dégradent, ce qui ne se verra pas dans le PIB.
Par exemple, la destruction organisée des forêts tropicales, baptisées les « poumons verts de la planète », pour y planter du soja transgénique ou des végétaux destinés aux agrocarburants est bonne pour le PIB des pays concernés et pour le PIB mondial et la croissance. Peu importe que ce soit une catastrophe écologique pour la biodiversité et pour le climat, et que les peuples indigènes soient chassés manu militari, rien de tout cela n’entre dans le PIB.

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