Arcade Fire a lancé cette année un excellent album double.
Il semble que les grands noms de la musique, depuis Dylan en 1966, se sentent obligés de passer par le chemin de l'album double. Comme si, au sommet de son art, il fallait à un certain moment libérer le trop plein (ou le "tout ce qui reste") et offrir tout ce qu'on avait de mieux et en grande quantité.
Comme un regain de vie avant la mort. Car vous remarquerez, pour plusieurs des cas cités plus bas, la mort allait suivre. Ou du moins le sérieux ralentissement.
À vous de juger:
1966: Bob Dylan, Blonde on Blonde.
Le septième album de Bob Dylan est un délicieux amalgame de ce que Nashville avait de mieux à offrir en février 1965 et de modernisme littéraire. L'album a été si solidement reçu, que Bob a semblé paver la voie aux artistes suivants. Toutefois, après une sérieuse discorde avec son gérant Albert Grossman, une fatigue extrême qui le menait tout droit à la dépression nerveuse, Dylan utilise un mineur accident de moto afin d'annoncer qu'il se retire pour un bout de temps. Il veut la paix. Il n'en peut plus. Il a tout donné. Il y aura des élans plutôt inspirés dans le futur immédiat, mais un long passage à vide de 1976 à 1988. Le brillant Dylan de 1965-1966 ne se réincarnera jamais complètement.
1968: The Beatles, The White Album.
Jamais les Beatles n'auront été aussi séparés sur un même album. 30 chansons originales, John en compose 13, Paul, 12, George 4 et Ringo 1. Si Paul devient multi-instrumentiste et explore toute sorte de genre musicaux, George s'impose enfin comme auteur-compositeur (avec Clapton ou seul et peu avec le reste du band), Ringo compose son premier morceau (mais en chantera 2) et John reste très personnel, absurde, parfois béotien et chante son amour pour Yoko très clairement qu'il ne se gêne pas pour faire entrer en studio avec les trois autres. C'est le début de la fin pour les Fab Fours. Jimi Hendrix sort avant la fin de cette même année son essai double. Son dernier enregistrement studio. Il est mort 23 mois plus tard.
1969: The Who, Tommy.
L'hyperactif Pete Townshend s'inspire de ce qu'un journaliste écrit sur un de ses morceaux précédents en parlant du premier morceau d'opéra-rock et en compose un vrai qui deviendra un film de Ken Russell en 1975. The Who sera tout aussi inspiré, sinon plus en 1971 et en 1973 quand Townshend refait le coup de l'album concept-double, si le succès est critique, la public suit moins. Un film est aussi fait de Quadrophenia, mais tout ce qui est fait par The Who par la suite reste moyen. À mon humble avis.
1970: Derek & The Dominos, Layla & Other Assorted Love Songs.
J'ai déjà parlé de ce poison.
1974: Genesis, The Lamb Lies Down on Broadway.
L'égo de Peter Gabriel devient trop gros, il a besoin d'une nouvelle montagne à escalader. Le groupe suvivra, parfois avec beaucoup de succès, mais un peu comme on change les James Bond ou les acteurs qui jouent Batman, la saveur n'est plus la même.
1975: Led Zeppelin, Physical Graffiti.
Fabuleux album pour un fabuleux band, mais tout ce qui suivra...bof...
1976: Harmonium: L'Heptade.
Serge Fiori se vide complètement ici. Le band s'éteint. Richard Séguin, présent sur cet album, le garde vivant le temps d'un excellent effort collectif, mais le musicien parmi tant d'autres vient de voir son nom s'effacer.
1979: Pink Floyd, The Wall.
Roger Waters étranglera son band de son projet mégalo-introspectif. Le groupe survivra, mais tout restera très différent. Ironiquement c'est aussi un album double (expérimental)de 1969 qui lancera la meilleure portion créative du band entre 1970 et 1980. Toujours en 1979, The Clash lance son incontournable en album double.
1984: Frankie Goes To Hollywood, Welcome to the Pleasuredome.
Ce groupe orchestré autour de l'ancien Buggle Trevor Horn est presque mort aussi vite qu'il est né. Relax says Frankie. Video also kills video stars.
1987: New Order, Substance.
Moi j'ai continué de les aimer. Davantage même. Mais le public n'a pas suivi. Prince la même année, pointe la tête dans les palmarès pour la dernière fois après avoir lancé un album double plus ou moins fade.
1991 & 1995: Michael Jackson, Dangerous & HIStory: Past, Present & Future-Book 1.
L'étrange animal reste une superstar de la pop une dernière fois avec DEUX albums double comme ses deux derniers (bien que l'un d'eux soit à moitié une compilation) avant de lancer album plusqu'ordinaire en 2001.
1995: The Smashing Pumpkins, Mellon Collie & The Infinite Sadness.
Dernier effort d'importance d'un trio très allumé à cet époque, et qui ne le sera jamais plus autant par la suite. Rock alternatif, grunge, électro, pop, heavy metal, pièces instrumentales, Corgan, Wretzky & Iha au sommet de leur art. Mais la chandelle est morte.
2007: Radiohead, In Rainbows.
L'album est un chef d'oeuvre. Le band est nettement en avance sur son époque. Mais il choisit de le lancer sur le net, sans promotion, sans distributeur...et sans prix! le prix est laissé à la discrétion du consommateur, résultat, personne ne paie, ou presque. Le coup de marketing est immense, mais les ventes se situent à une moyenne de 2,66 livres par album procuré. Personne ne se rend riche. Une compil suivra, ce qui n'augure jamais rien de bon. Et un album qui passe plus ou moins inaperçu en 2011 mais qui reste excellent. Le groupe est actuellement en "pause" afin de mener des projets parallèles.
Bon, ces exemples n'ont rien de scientifiques. Pour chaque album double annonçant la fin proche d'un artiste ou d'un groupe d'artistes, il y a eu un Elton John qui, après 1973, a continué de pondre au moins une bonne chanson par album jusqu'au début des années 2000, Stevie Wonder, qui est resté brillant passé 1976, Les Stones qui n'ont jamais été meilleurs selon moi qu'entre 1971 (1969 en fait) et 1974, XTC qui est presque né d'un album double en 1982 et U2 qui, après une erreur double en 1988, a survécu facilement aux époques.
Reste à savoir de quel côté tombera Arcade Fire.
Si il verse.
Arcade Fire a donné un fabuleux spectacle en plein air pas plus tard qu'hier.