En quatrième de couverture, à peine plus de trois lignes présentent ce roman, à moins que ce ne soit un romånce, qui contient 49 chapitres, répartis en quatre parties.
Dès les premiers mots (« Le vent de nouveau s’approcha des herbes… »), vous saurez que vous entrez dans une histoire qui a commencé avant vous. Vous vous direz peut-être, voyant Kronauer se pencher sur Vassilissa Marachvili, que vous n’auriez pas dû entrer avec eux et Iliouchenko dans cette zone interdite, irradiée depuis que les centrales nucléaires ont toutes explosé sur la terre. Vous imaginerez peut-être qu’il existe ailleurs un monde non atteint, mais, puisque l’Orbise a été anéantie, il ne pourrait être que capitaliste et vous n’y seriez pas le bienvenu. Ici même, dans l’immensité de la prairie rendue à sa sauvagerie primitive, vous allez courber sous la menace. Ou lui résister. Et vous allez suivre Kronauer à travers le bois de mélèzes vers la fumée aperçue, signalant un village, un kolkhoze, dont vous apprendrez qu’il a pour nom « Terminus radieux ».
J’y ai plongé, lisant avec délectation les noms des plantes qui ont envahi les steppes et la taïga. Je n’ai compris que j’étais pris au piège que lorsqu’est apparu le premier « nous » dans le texte, « nous » signifiait que j’y étais vraiment, vrai-ment. J’y ai rencontré des personnages incroyables de misère, de mort et de volonté persistante, se nourrissant le plus souvent de pemmican. Sont-ils vivants ou sont-ils passés dans un autre monde ? Qui les manipule ? Un magicien ? Un chamane ? Ont-ils une quelconque liberté d’agir ? Ils semblent disparaître, puis réapparaître. Et il y a les immortels, la Mémé Oudgoul et Solovieï. On peut donc imaginer une existence après que la planète soit devenue complètement radioactive, et que certains rayonnements protègent de la mort. Il suffit de savoir parler aux piles nucléaires qui forent des puits où on les nourrit de déchets.
Cependant, ce n’est pas un discours contre le nucléaire, nous sommes au-delà de tout cela. Ce qui est est, et la Deuxième Union soviétique est finie, quoique son organisation concentrationnaire persiste dans les mentalités. Ici, on ne cherche pas forcément le bonheur. On se méfie des hommes et de leur « langage de queue », violents, violeurs. Et pourtant, on s’efforce de ne pas oublier l’amour, par-delà les siècles, par-delà les mémoires.
Celui, ou celle, qui raconte sait poser dans le récit des éléments auxquels, lecteur, vous ne serez pas assez attentif, et qui reviendront vous surprendre quelques pages plus loin, quelques années, quelques siècles. Et vous vous demanderez si vous avez lu cela dans un livre de Maria Kwoll, ou chez un auteur post-exotique, ou peut-être simplement quelques pages plus tôt, en écoutant Solovieï, en suivant Kronauer, ou dans un cahier de Hannko Vogoulian. Les voix s’entremêlent sans cesse. Jusqu’au bout, vous vous demanderez qui écrit cela : « Lui ou moi peu importe ».
Un train traverse la steppe, ses rails mènent sans doute à un camp…
Lisant ce livre, j’ai pensé, quoique l’écriture de Volodine ne puisse l’apparenter qu’aux écrivains post-exotiques, à d’autres livres : notamment « Onze rêves de suie » de Manuela Draeger, bien sûr, mais aussi « La route » de Cormack Mc Carthy, et « Transperceneige » de Lob, Rochette et Legrand.