à l’Institut Lumière, La Classe ouvrière va au paradis

Publié le 30 août 2014 par Journal Cinéphile Lyonnais @journalcinephil

Jusqu’au 2 octobre, l’Institut Lumière propose un parcours à travers le cinéma italien des années 1970, dans une sélection qui fait la part belle à la comédie sociale. Dans un pays assombri par les années de plomb, dans une société de consommation en plein essor, les cinéastes, souvent passés par le journalisme satirique, jettent un regard féroce et drôle sur leurs contemporains – les caricaturant parfois jusqu’à l’extrême – sur la lutte des classes, la lutte des sexes, l’attrait de l’argent, l’Eglise, et toujours le pouvoir.

Dans le cadre de ce cycle, du 3 au 12, septembre, La Classe ouvrière va au paradis, réalisé par l’un des cinéastes les plus engagés de cette époque Elio Petri, sera à l’affiche.

Les séances : Me 3/09 à 14h30 – Ve 5/09 à 19h – Sa 6/09 à 16h15 – Me 10/09 à 21h30 – Ve 12/09 à 14h30

Toutes les informations pratiques et le détail de la programmation du cycle "Cinéma italien des années 1970"  sur http://www.institut-lumiere.org/

La Classe ouvrière va au paradis
(La classe operaia va in paradiso)
De Elio Petri
Avec Gian Maria Volontè, Mariangela Melato
Italie, 1971, 2h05, couleur

SYNOPSIS

Lulù Massa, ouvrier, est peu apprécié de ses collègues, son rendement étant toujours cité en exemple. Mais lorsqu’il se coupe un doigt accidentellement, les ouvriers, solidaires, se mettent en grève…

Palme d’Or à Cannes en 1972, La Classe ouvrière va au paradis est une évocation du milieu ouvrier dans un film antiautoritaire habité par une énergie remarquable.  Le film est truculent, explosif, complexe, grotesque, burlesque, tragique !

« J’ai voulu faire un film sur un ouvrier moyen. Sur sa mentalité, sur ses faiblesses, sur ses déchirements. Et je l’ai réalisé avec un langage populaire ». Elio Petri

A PROPOS DU FILM

Le personnage de Lulù, incarné par l’époustouflant Gian Maria Volonté, porte sur ses larges épaules de prolo toute la richesse contradictoire du film. Ouvrier performant, la tête dans le guidon, abruti par les cadences autant que par les illusions de la société de consommation, écartelé entre deux familles, incapable de donner corps aux désirs bouillonnants qui le traversent, il va être soumis à une sorte de régime de la douche écossaise, brinquebalé par les événements, soumis à des influences antagonistes, lessivé, essoré… Et le spectateur suit le même parcours, jamais en repos, surpris sans cesse, interrogé, interloqué, bousculé en même temps qu’emporté par la puissance dramatique et narrative d’un vrai spectacle de cinéma.

La classe ouvrière va au paradis nous plonge dans l’Italie tumultueuse de l’immédiat après-68. On y voit l’opposition forte entre des syndicats réformistes, dominés par la CGIL, aux mains du Parti communiste italien, et les groupes d’extrême-gauche. Réforme contre Révolution. Des syndicats qui se battent pour contrôler le groupe ouvrier, c’est-à-dire l’empêcher de le subvertir, de nier dans les faits sa légitimité à l’incarner.

La classe ouvrière va au paradis nous montre également l’hétérogénéité du groupe ouvrier. Il y a les ouvriers modèles, les Lulu qui jamais ne se révoltent. Il y a ceux qui suivent les consignes du syndicat sans barguigner. Il y a les jeunes ouvriers, plus réceptifs aux discours et aux pratiques des gauchistes. Il y a aussi la figure de l’ouvrier méridional, ce « plouc » qui a quitté sa Sicile natale pour le nord industriel. L’ouvrier méridional est à la fois le paysan et l’immigré : sans qualification professionnelle, sans culture ouvrière, docile et servile (du moins en apparence), le patronat ne le voit que comme une bête de somme, individualiste, méfiant à l’égard du monde de la ville, et donc du socialisme.

Et puis il y a Militina, l’ancien syndicaliste de l’usine devenu fou. Devenu fou ou plutôt rendu fou par l’ordre usinier, ses règles, ses normes, sa sirène ; rendu fou par la division du travail qui fait que l’ouvrier à la chaîne ne sait plus ce qu’il produit. Militina est en asile psychiatrique, et Lulu va le voir parce qu’il sent qu’il perd pied. Il perd pied et veut savoir comment on bascule de l’autre côté. Et Militina lui rappelle que personne n’échappe à la folie : les pauvres deviennent fous en travaillant comme des bêtes, en se déshumanisant huit heures par jour, dans l’espoir de jouir de quelques heures de loisirs balisés par la société de consommation ; les riches deviennent fous par avidité, goût du pouvoir et de la puissance. Ce faisant, Militina, souligne l’absurdité du monde capitaliste, sous l’emprise du culte de la marchandise et de l’argent. Un monde qui tue, humilie, estropie, aliène. Ce monde qui nous happe et nous ensorcelle avec ses belles promesses. Lorsque Lula part de l’hôpital psychiatrique, Militina lui glisse : « Lulu, quand tu seras hospitalisé ici, apporte des armes ! » Car seule la révolte peut mettre à bas ce monde.

Plus de quarante ans après, le film n’a rien perdu de sa force et de sa pertinence. Il nous parle du monde industriel d’hier, marqué par le fordisme. Il nous parle tout autant du monde du travail d’aujourd’hui où les maîtres mots sont productivité, excellence, efficience, règles, normes, hiérarchie

MUSIQUE D’ENNIO MORRICONE

Pour ce film, Ennio Morricone a composé une partition, étrange et mécanique. S’appuyant sur les sons internes à l’usine, elle les reprend, se confond avec eux, en reprend la rythmique agressive, les annonce ou les prolonge, et ce n’est pas un hasard si le film s’achève sur la reprise du thème principal.