La première fois que j’ai campé sous une tente pour toute une nuit, c’était en juin 1997. Si si, je ne vous raconte pas de blagues. Quand j’étais petite, mes parents avaient acquis une propriété au fin fond de l’Indre et Loire, où selon le marchand de biens de l’époque qui savait vendre son catalogue comme personne, « dans le trou du cul de la Touraine ». Ils considéraient donc inutile voire indécent de nous embarquer pendant des heures sur les routes brûlantes pour ensuite vivre dans des conditions précaires sous le prétexte fallacieux de vouloir changer d’air. Notre maison de vacances nous proposait l’isolement, l’enchantement de la campagne, les vallons veloutés et les maïs à perte de vue. Le boucher du village élevait lui même ses veaux, le fermier en bas du chemin nous vendait poulets, oeufs et lait, le boulanger arrivait le matin avec sa camionnette de pains encore chauds et le reste se trouvait facilement à dix kilomètres de là. Que demandait le peuple ?
L’été nous cueillions des mûres, l’automne nous gaulions les noix et l’hiver nous nous réchauffions au coin du feu devant une cheminée tellement grande que mon père invitait ses amis à le joindre dans le foyer pour en prouver l’exceptionnelle taille. Bref, cette ferme fortifiée du quatorzième siècle offrait plus aux yeux de nos sages adultes que la proximité malsaine et sale des milliers d’aventuriers du camping. Moi, c’est l’horrible carambolage de deux cars transportant des enfants en route pour les colonies de vacances, en 1982, qui m’avait persuadée de ne jamais vouloir partir en colonie. Les images et le récit du Paris-match de l’époque me hantent encore. Maudite mémoire visuelle !
Bon, tout cela expliquant que ce n’est qu’à l’âge de 26 ans que je suis partie en camping avec mon futur mari. Notre plan étant de me faire découvrir Egilsstaðir. Nous nous sommes arrêtés sur les bords du Jökulsárlón pour regarder le coucher du soleil (plus romantique que ça serait de regarder le dit coucher de soleil depuis la station MIR) et nous avons planté notre tente au camping de Höfn. Egilsstaðir n’ayant révélé aucun charmes à mes yeux, Ingvar me proposa de rendre visite à sa grand-mère à Akureyri. Nous campions le soir même dans le minuscule jardin de la vieille femme, notre tente couvrant la superficie totale de son carré de verdure. Akureyri est la seule autre ville d’Islande où je me verrais vivre avec ma famille. Ne lui sont liés que des souvenirs d’une chaleur et d’une douceur incroyables. Quand j’arrive á Akureyri, mon coeur gonfle, mon sourire refuse de quitter mes lèvres et mes jambes deviennent infatigables. C’est comme ça !
Ah oui, c’est bien beau tout ça, me direz vous, mais quel rapport avec le titre de ton texte ? Tu diverges, tu diverges et tu ne sais plus oú tu vas !! Ben si, je sais… À Akureyri pardi ! Nos enfants étant tous scouts (oui, je m’octroie le droit tout à fait freudien de ne pas partager la réserve que mes parents exprimaient dans mon enfance à l’encontre de Baden Powell et de ses idées), nous nous sommes embarqués dans le tourbillon du Jamboree Iceland 2014, cette fin de juillet dernier. Le jamboree avait lieu à… ? Allez-y, devinez ! Ben oui, à Akureyri, et sous un soleil éclatant qui plus est ! Nous voilà donc au magnifique camping de Hamrar, à la sortie de la ville, surplombant le fjord et dominé par un plateau aux pieds boisés. Chaque compagnie avait son campement délimité et les familles qui avaient pu venir participer, étaient elles même réunies par appartenance. Nous étions 20 familles de Fossbúar (prononcez « fossbouar », les habitant de la chute) et en vrais colons, nous avions organisé notre camp en cercle, à l’image des cow-boys. Et à l’instar des héros de la petite maison dans la prairie, nous étions entraînés dans un joyeux tourbillon d’aventures, de dur labeur et de veillées.
C’est qu’il en faut une organisation pour occuper 2000 scouts de nationalités différentes et dont les âges s’étendent de 11 ans à 70 ans.
Va falloir que je m’arrête, c’est dommage… J’aurais voulu vous parler des enfants timides et renfermés qui partaient le nez au vent s’adresser en anglais à d’autres scouts et passer la semaine à sympathiser avec des gens de toutes nationalités sans se soucier de leurs propres complexes; ou encore des équipes de nettoyage qui toutes les deux heures prenaient les toilettes d’assaut, même au milieu de la nuit. J’aurais voulu évoquer les artistes (tous des stars islandaises !) qui sont passés donner des concerts gratuits, parce que les scouts leur ont tellement donné. J’aurais pu vous parler de toutes les entreprises de Selfoss qui ont offert leurs services afin de faciliter le travail de logistique et alléger les dépenses des Fossbúar. J’aurais vraiment failli à mon esprit scoutisant si je n’avais pas mentionné la culture du système D et l’ingéniosité de chaque compagnie à construire qui un portail, qui une voiture-taxi en bois, qui une cuisine escamotable avec tous les rangements mieux qu’Ikea! Ouais, on l’aura compris, j’ai adoré mon stage intensif de scout. Il faut dire que le mouvement scout correspond bien à l’esprit islandais et que l’esprit islandais me va bien.
Les islandais en général, sont souvent prêts à filer un coup de main et ne sont pas avares de leur temps. Dans les cercles d’amis, les échanges de services sont fréquents et considérés comme tout à fait normaux. Mon mari peintre en bâtiment a peint la maison de notre garagiste qui en échange répare notre vieux 4×4. Un de nos voisin fabrique des meubles que mon mari peint en échange d’oies sauvages chassées par le dit voisin. Une collègue a tricoté un pull pour mon aîné et a demandé une de mes recettes secrètes en échange. Quand on cherche une solution à un problème pratique, il n’est pas rare que les amis contribuent à trouver la solution et chacun aide comme il le peut et selon ses moyens. Ma copine s’occupe de mes poules quand je pars et moi de ses chats quand elle s’en va. Nous ne tenons pas de comptes et c’est vraiment une joie de pouvoir se rendre utile.
En fait, si les scouts étaient un peuple, ils parleraient bien l’islandais.