Grégoire Delacourt s'y entend comme personne pour dresser des listes, établir des récapitulatifs. Il l'a prouvé avec La liste de mes envies. Il remet ça avec son dernier roman, On ne voyait que le bonheur. Avec des chapitres brefs, qui claquent comme les pages qu'on tourne, assez vite, en croyant que cela ne s'arrêtera pas alors qu'il en est des livres comme de la vie ... tout à une fin.
On dirait des nouvelles, des instantanés, un livre de photos, jetées dans un désordre qui n'a rien de chronologique, qu'il nous autorise à feuilleter et dont il nous souffle les commentaires.
L'auteur pèse ce que vaut ce monde, notre monde qui, par bienséance débaptise un dessert, appelé autrefois "tête-de-nègre" pour le renommer Othello mais qui ne semble pas choqué de laisser se multiplier les licenciements.
Quand on aime, peut-on compter autre chose que de l'amour à deux balles ? Le narrateur est prolixe. Sa soeur s'exprime à demi-mots.
Que le récit soit autobiographique ... je l'ignore. Nostalgique de toute évidence, à l'instar de ce cliché qui suggère la tranquillité d'un art de vivre à la française dans les années 70, et de quelques leitmotiv comme ce rêve de boire des Blood and Sand au Mexique qui s'insinue dès le début. Il faudra attendre la page 181 pour en connaitre la recette.
Qui ne s'interroge pas un jour sur ce qu'il a reçu en héritage de ses parents ? Le narrateur attribue à son père son incapacité à se laisser aimer (p. 103). De ce handicap il a fait une force qui lui permet d'accomplir son métier d'assureur sans état d'âme. Son incapacité à éprouver de la compassion fut une aubaine pour son patron.
Ensuite, son entourage pourra bien le toucher dans le petit pyjama de leur vie (p. 170) ... il n'empêche qu'il ne sera pas capable d'agir autrement que d'une manière violente, justifiant ses actes en reportant , encore une fois, la responsabilité sur son père : le mal que j'ai fait c'est le mal qu'il m'a fait (p. 210).
En tout cas s'il y a un sujet qui résonne absolument plus vrai que vrai ce sont les lignes consacrées au licenciement et aux méthodes de Pôle Emploi, notamment avec deux pages implacables (p. 235-236). Celui qui n'a pas connu cela ne sait pas ce que c'est que le dégoût de soi, ni où il peut conduire, ni de quel drame il peut être le déclencheur.
On l'approuve lorsqu'il écrit que l'on pousse tordu sans l'amour d'une maman (p. 354). Par contre je ne suis pas d'accord avec lui quand il affirme que le bonheur, on ne sait jamais qu'on est en train de le vivre, contrairement à la douleur (p. 343) même s'il avait auparavant expliqué joliment le pourquoi du titre, On ne voyait que le bonheur ... (p. 77)
Le roman s'articule en trois parties très différentes mais chacune empreinte d'une très forte humanité et de références qui emportent le lecteur vers d'autres rivages. C'est la surprenante citation de Clémence Boulouque extraite de son livre Je n'emporte rien du monde : Le temps est passé. Alors le temps est venu. (p. 269). C'est encore la chanson qu'interprétait Nicole Croisille Parlez-moi de lui ... (p. 356)
Comprendre, c'est faire un pas de géant vers l'autre. C'est le début du pardon. (p. 218)
Tout compte fait, et une fois terminés les alignements de chiffres, on admettra que le vrai sujet du livre était là dans la capacité à concevoir le pardon.
On ne voyait que le bonheur de Grégoire Delacourt chez JC Lattès, août 2014