Immigration: un clandestin tué par la police ?

Publié le 28 août 2014 par Juan

Il est assez probable que nous aurions titré quelque chose de la sorte si la mort d'un clandestin que la police expulsait était intervenue sous Nicolas Sarkozy. Au cours de l'été 2007, la défenestration d'un jeune russe alors que la police frappait à la porte de l'appartement où il se cachait avait ainsi frappé les esprits.

Le même titre, sans conditionnel et à dessein, peut-être encore et malheureusement utilisé aujourd'hui.

Le 22 août dernier, un Algérien clandestin est décédé alors que la police l'expulsait du pays.

Le contexte a peut-être changé, pas les faits.


Au gouvernement, il n'y a certes pas le même discours haineux et "identitaire" qui nous a profondément choqué un quinquennat durant entre 2007 et 2012. N'en déplaise à certains, le ton a changé, le discours a changé. Il n'est pas généreux, mais il n'est plus haineux. Nicolas Sarkozy voulait créer des tribunaux pour étrangers, et lancer un référendum sur l'immigration en cas de réélection.
Relisons ce que nous lisions, ce que nous entendions au sommet de l'Etat, quotidiennement il y a encore 3 ans. La situation a changé.
L'actuel gouvernement fait encore et toujours procéder à des "éloignements", mais il y a même eu moins d'expulsions en 2013 que les 5 ou 7 années précédentes: 36.000 éloignements en 2012, mais à peine 27.000 en 2013: 27% de reconduites à la frontière en moins, mais 28% de régularisations en plus l'an dernier. Les conditions de naturalisation ont été assouplies. La franchise AME (Aide médicale d’État) et le délit de solidarité ont été supprimés. Les règles de régularisations ont été clarifiées, celles relatives aux parents d’enfants scolarisés ont été assouplies. Une loi sur le droit des étrangers va prochainement améliorer tout cela encore, en généralisant le titre de séjour pluriannuel pour l’ensemble des étrangers, après un an de séjour en France.
Et pourtant.
Tout ceci n'est que surface, pas grand chose d'autre. Nul besoin de sombrer dans la surenchère des uns ou des autres pour comprendre, mesurer, évaluer.
1.  Le gouvernement a d'abord procédé par circulaire, ce qui est plus rapide mais moins sécurisant qu'une loi. Aucune des lois passées sous Sarkozy-ministre et Sarkozy-président n'a été abolie. Il n'a pas non plus rétabli des lois antérieures, abolies par une décennie à droite, comme celle de 1998 qui garantissait un titre de séjour aux étrangers gravement malades mais privés de traitements dans leur pays d’origine. Il ne projette pas non plus de revenir au titre de séjour décennal./

2. Plus généralement, l'industrialisation de la rétention a-t-elle évolué ? Un an après l'élection de François Hollande, la CIMADE a publié un bilan très négatif pour le successeur de Nicolas Sarkozy. En 2014, l'association continue le bilan, forcément provisoire: "à l’heure où cet État des lieux 2014 est publié, soit deux ans après le début du quinquennat, du changement on ne peut que constater, au mieux une lenteur coupable face à l’urgence, au pire le renoncement ou le volte-face d’une politique publique qui s’inscrit en définitive dans la continuité. "
3. L'accueil en préfecture est toujours indigne. On y compte plus de 5 millions de passages d'immigrés chaque année pour obtenir des papiers. La majorité des papiers délivrés sont provisoires. Les préfectures sont ouvertes pour ces services environ 5 heures par jour, pas plus. La CIMADE estime à 708 euros la somme qu'un étranger dépense en moyenne pour obtenir des papiers. Contrairement aux fantasmes véhiculés par l'extrême droite et la droite furibarde, à peine 3% des visas sont délivrés pour des raisons médicales.
4. L'éloignement, sobre comme une horreur administrative, recoupe des opérations encore détestables qui, elles, n'ont pas changé de nature ni d'exécution. Un homme de 51 ans est mort des "suites d'un malaise", vendredi 22 août, alors qu'il était dans le fourgon de police qui l'amenait à Roissy pour y être embarqué dans un vol d'expulsion. L'instruction ouverte pour "homicide involontaire" dira peut-être les responsabilités.
En décembre 2012, Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur, créée "la retenue pour vérification du droit au séjour".
5. La rétention des enfants fait toujours, et à juste titre, scandale. A celles et ceux qui diront qu'on ne doit pas séparer les familles, on rétorquera qu'on ne doit pas emprisonne pas les familles non plus.
"Après la famille Babayan expulsée le 6 août suite à une interpellation musclée, la famille Topalli expulsée via un vol militaire spécialement affrété pour eux le 14 août, c’est au tour de la famille Manoukian d’être enfermée au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot le 20 août au soir par le préfet de l’Oise." La Cimade, 21 août 2014
6. La majorité des expulsions a toujours lieu en Outre-mer. Il y a quelques mois, la CIMADE notait que la circulaire de juillet 2012 qui limitait l’enfermement des familles en centre de rétention ... ne s’applique pas à Mayotte: "des milliers d’enfants sont donc toujours enfermés chaque année dans le centre de rétention de Mayotte en toute illégalité."
Lire aussi:
  • M. le Ministre, avez vous signé votre contrat de Français? (2007)
  • L'industrialisation de la rétention en Sarkofrance (2008)
  • Immigration: la course à l'échalotte entre Besson et Hortefeux. (2010)
  • L'extrême droite au coeur de l'Elysée (2011)
  • Immigration: ce que Sarkozy ne vous a pas dit (2012)
  • Pourquoi l'UMP est obsédée par l'immigration (2013)
  • La rafle de trop (juin 2013)