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Dix ans après son Nobel,
J.M. Coetzee est en forme. Il le prouve à la manière d’un écrivain, avec un
roman. Loin de l’Afrique du Sud, celui-ci. Loin de tout, puisqu’il se déroule
dans un pays imaginaire. Les noms de lieux ne ressemblent à rien de connu, la
langue véhiculaire est l’espagnol et, surtout, ceux qui y vivent sont des
immigrés censés avoir gommé leur passé pour repartir dans une nouvelle
vie : il s’agit de s’intégrer. Quant au Jésus du titre, il n’en est nulle
part question dans le texte. Curieux, non ? A moins d’y voir, plutôt
qu’une allusion à des racines religieuses, une allégorie sur laquelle
l’écrivain pose une grille de lecture en forme de titre (Une enfance de Jésus) qui fournit, en arrière-plan, un point de
repère dans un univers où nous pourrions nous égarer.
Ce pays présente d’autres
caractéristiques inhabituelles. Il propose aux arrivants, au camp de Belstar,
des cours d’espagnol, langue que la plupart ne parlaient pas. Belstar, c’est
l’exact opposé d’un centre de rétention par lequel les étrangers passent avant
d’être expulsés. Ici, leur statut transitoire est destiné à les aider, après
quoi on leur offre un logement – malgré quelques difficultés administratives
qui ne semblent pas avoir été sciemment instaurées pour les décourager, et qui
sont plutôt la conséquence des faiblesses humaines. On les oriente vers un
travail, ils reçoivent une aide financière, réduite mais suffisante pour
survivre…
Simón suit ce parcours et
devient docker. La tâche est rude, mal payée mais il découvre une fraternité
d’hommes qui lui permettent d’apprivoiser son environnement. Ces travailleurs
de force sont plus intéressés par les cours de philosophie dispensés à
l’Institut ouvert à tous que par les femmes disponibles au Salón et dans
quelques autres endroits du même genre. Ils sont appliqués à progresser, à
devenir meilleurs, à maîtriser les subtilités de raisonnements complexes… Simón
a sa propre manière de penser, en partie déterminée par la responsabilité qu’il
s’est donnée lors du voyage qui le menait vers ce pays : il a en quelque
sorte adopté un petit garçon, David, et a décidé de retrouver sa mère qui
devrait se trouver quelque part. Où exactement et sous quel nom, il n’en sait
pas davantage que l’enfant.
Mais il annonce un jour
qu’il a trouvé la mère : une jeune femme qui joue au tennis avec ses
frères. Elle pourrait être n’importe qui, elle est séduite par l’idée de
devenir mère sans avoir eu à enfanter, à moins que cela lui soit arrivé dans
une autre vie, et prend son nouveau rôle au sérieux, jusqu’à écarter de David
non seulement l’ami de son âge qu’il s’était fait mais aussi Simón lui-même.
Quelque chose cloche, qu’il faudra résoudre, avec l’aide involontaire d’un
service social qui veut placer David dans une école pour élèves réfractaires
aux méthodes traditionnelles d’enseignement.
La logique du roman épouse celle de ce monde
imaginaire. Elle finit par proposer une sorte de mode d’emploi de la vie. C’est
éblouissant.