C’est pas moi, c’est l’autre, on se croirait dans la cour de récréation du Grand-Paris. La dégradation du RER A, jusqu’à récemment tranquillement ignorée par la RATP, le STIF, la Région Ile-de-France et l’Etat est en train de devenir la pomme de discorde qui cristallise le mauvais fonctionnement de l’agglomération parisienne. Hier, c’est le Président de la République qui s’empare du sujet et en profite pour aligner le Président de la Région Ile-de-France et à ce titre Président du STIF (le Syndicat des Transports d’Ile-de-France, autorité organisatrice des transports de la région). Décentralisation ou pas, si la région n’est pas capable de gérer les transports l’Etat est prêt « à reprendre la main » déclare Nicolas Sarkozy, pour venir à la rescousse de « passagers otages de situations inacceptables de lignes de RER vétustes, où chaque jour un million de passagers s’entassent, assistant impuissants aux affrontements stériles et à la vétusté des investissements. » Et d’en rajouter une couche sur le thème de la décentralisation, qui est faite « pour qu’on gère mieux, pas pour qu’on gère moins bien… si la décentralisation conduit aux regards stériles entre les élus, l’Etat, les pouvoirs publics devront prendre leurs responsabilités pour que les usagers ne soient pas otages de ces archaïsmes. »
Jean-Paul Huchon, le Président de la Région et du STIF s’étrangle et réagit, c’est pas moi, c’est l’autre, en dénonçant une nouvelle fois un troisième Président, celui de la RATP, qualifiée de « transporteur incapable de fournir une prestation de qualité » à des voyageurs « otages ». Et au passage, il rappelle au Président de la République, que les grandes déclarations ne suffisent pas si on n’est pas capable de les assumer financièrement : « Il n’a pas d’argent et il est très content que ce soient les collectivités locales [ constituant le Stif] qui prennent en charge les transports. » Quant au Président de la RATP, Pierre Mongin, il avait en début de semaine lancé un appel aux élus régionaux pour son plan d’amélioration du RER A, notamment en généralisant les rames à deux niveaux (gain de 30% en terme de capacité). Et pour finir Jean-Paul Huchon, Président de la Région et du STIF, renvoie à Nicolas Sarkozy, qu’après tout, c’est l’Etat qui est actionnaire de la RATP.
Bref, la boucle est bouclée, et au final c’est pas moi, c’est l’autre. Navrante comédie du pouvoir et de son impuissance. Mais aussi navrante démonstration de l’instrumentalisation politicienne d’un problème réel pour des millions d’usagers et majeur pour la ville de Paris, l’agglomération parisienne, la région Ile-de-France et à cause de son poids le pays tout entier. Comédie navrante et désolante aussi, car chacun a raison et tous ont tort, et cette nouvelle passe d’arme confirme une fois encore que l’organisation de l’agglomération parisienne, le traitement des grands dossiers, comme celui des transports, sont mauvais et que la situation actuelle ne peut plus et ne doit plus durer.
On pourrait d’ailleurs renvoyer les trois Présidents dos à dos, parce que l’Etat s’est trop désengagé des transports en communs, on l’a vu au moment du passage de la responsabilité du STIF à la Région - souvenons-nous du bras de fer de 6 mois entre Jean-Paul Huchon et le Gouvernement d’alors pour essayer d’obtenir un rallonge budgetaire pour le STIF, ou encore du dernier CPER qui avait vu la dotation pour les transports en commun réduite. Quant à Pierre Mongin, le président de la RATP, et Jean-Paul Huchon, président de la Région et du STIF, ils sont finalement assez gonflés, l’un comme l’autre se vantant des bienfaits de leur gestion respective, RATP et STIF, ignorant superbement la question du RER A pendant des mois voire des années, et se renvoyant la balle quand ça devient trop voyant, parce d’abord les blogues (Paris est sa banlieue y revendique sa part ;-), puis les médias, et enfin les usagers mettent sur le devant de la scène leur insuffisance. Alors on veut des plans d’urgence, on se renvoie les responsabilités, car ni l’un ni l’autre, ni le troisième n’ont voulu voir et/ou n’ont su prévoir. Il est intéressant de noter que les lignes de RER à améliorer dans le dernier CPER (Contrat de Projet Etat Région 2007-2013) sont la B, C et D, les termes « RER A » n’apparaissant même pas dans le document lui-même, cherchez l’erreur…
Quelle leçon tirer de ce petit jeu de rôle sur fond de RER saturé, si ce n’est que la gouvernance de l’agglomération ne fonctionne pas, que le STIF comme la RATP n’ont pas les moyens de leurs ambitions, pour peu qu’ils en aient. Nicolas Sarkozy a raison de dénoncer « querelles politiciennes » et « oppositions stériles », mais il doit aussi en prendre sa part. On ne peut pas un jour lancer le Grand-Paris, souligner l’absence de communauté urbaine, puis déclarer que la question doit être réglée par de grands gestes architecturaux et non pas des modifications institutionnelles, puis avant-hier créer un secrétariat d’Etat à la région-capitale, hier aligner la décentralisation facteur d’immobilisme et vouloir faire régler par l’Etat un problème qu’il a contribué à créer. Quelle confusion. Et que voit-on aujourd’hui, qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion de l’agglomération parisienne, ou plutôt comme le dit Philippe Dallier, qu’il y en a trop, chacun tirant dans sa direction. Et que le mille-feuille institutionnel génère bien de l’immobilisme et du non-fonctionnement. Qu’il faut des crises pour que cela bouge, mais que personne n’a ni la responsabilité ni les moyens de cette responsabilité. Est-ce que le STIF est un organisme qui doit assurer et financer au quotidien le fonctionnement des transports dans la région parisienne ou bien doit-il prendre en charge des investissements extra-ordinaires, que l’on décide tous les 30 ans et dont l’impact ne serait se réduire à l’échelle d’une ville, fut-elle Paris, d’un département ou même d’une région mais à celle de tout un pays ? Il n’y a pas eu d’investissements et de développements majeurs dans les transports en commun dans la région depuis plus de 30 ans. A qui imputer un tel manque de vision ? A l’Etat qui a géré les transports jusqu’à ces dernières années ? A la région qui vient de les reprendre et n’arrive pas encore à développer de vision globale à l’échelle des besoins de l’agglomération, débitant la rocade en arcs parcimonieusement étalés jusqu’aux calendes grecques alors que les lignes existantes menacent l’apoplexie, encore aggravée par la réduction de l’utilisation de la voiture ? Aux départements qui voient le salut dans leurs limites et la préservation de leur pouvoir local, chez moi ce sera Orbival, et chez moi le tram T2 ? A la ville de Paris qui continue à vouloir se ceinturer de son joli tramway, pendant que la banlieue faute de regarder passer les trains continue à les attendre ?
Peut-être que la région n’est pas assez forte, comme le réclament certains, peut-être n’est-elle pas assez grande, et plutôt que de gloser sur un Grand-Paris qui irait jusqu’au Havre, comme Christian Blanc, le nouveau secrétaire d’Etat au développement de la Région-Capitale se posait récemment la question, ou à Reims pour Claude Bartolone, Conseil Général 93, c’est peut-être la région qu’il faut étendre pour lui donner la taille critique dans la compétition internationale à laquelle elle doit s’affronter ? Et laisser l’agglomération Grand-Paris ou Paris-Métropole exister, se doter d’institutions démocratiques et se gérer dans son ensemble et sa cohérence retrouvés. Mais il faudrait savoir/pouvoir réfléchir objectivement, hors « querelles politiciennes » et ambitions personnelles, amusant tout de même de voir que chaque candidat putatif à la présidence de la région arrive avec sa vision du Grand-Paris, forcément différente de celle de l’autre. Et même si “le Grand-Paris est une évidence” pour Pierre Mansat, adjoint du maire de Paris chargé des relations de Paris et la banlieue, et Stéphane Gatignon, maire de Sevran, qui signent une sympathique tribune dans le Monde, parfois j’en arrive à douter et me dire que Jean-Paul Huchon a raison quand il déclare que “le Grand-Paris n’aboutira pas“… avec un tel concours de « bonnes » volontés. Et c’est bien ce qui est désespérant.
Jean-Paul Chapon