Elysée: Emmanuel Macron, l'ex-banquier qui murmure à l'oreille de François Hollande
Par Corinne Lhaïk, publié le 15/05/2013Brillant, sympathique, charmeur, l'ex-secrétaire général adjoint de l'Elysée, Emmanuel Macron, a les convictions de la gauche libérale. Mais les prudences de François Hollande l'ont obligé à la patience. Voici le portrait que L'Express en fait en mai 2013, un peu plus d'un an avant qu'il ne devienne ministre de l'Economie.
Francois Hollande parle avec le ministre de l'Economie Pierre Moscovici, son conseiller Aquilino Morelle, Philippe Leglise Costa (à gauche) and Emmanuel Macron à l'Elysée, le 31 juillet 2012.Lemouton Stephane/ABACAC'est un dîner comme Paris sait les mitonner. Des banquiers, des communicants, des conseillers de ministre... de droite et de gauche. Nous sommes à la fin de 2008, Nicolas Sarkozy dirige la France, tandis que François Hollande a pris le sombre corridor qui mène aux oubliettes de l'Histoire. Il n'est plus premier secrétaire du PS et les socialistes commencent à regarder Dominique Strauss-Kahn avec les yeux de Chimène. Autour de la table, deux hommes font connaissance en parlant politique. "En 2012, ce sera François Hollande, je mise sur lui", dit le premier au second, qui le prend pour un fou. En Bourse, on appelle cela "acheter à la baisse" et il n'est pas étonnant que ce hollandais précoce soit directeur à Rothschild & Cie Banque. Il se nomme Emmanuel Macron. Moins de quatre ans plus tard, le 15 mai 2012, il devient, à 34 ans, secrétaire général adjoint de la présidence de la République. Très vite, Macron se fait remarquer. Par son âge, un objet de curiosité - il fréquente l'école primaire à l'époque où Laurent Fabius habite Matignon. Par son parcours, une hyperbole de l'excellence: en sixième, il connaît déjà les racines grecques et latines de la langue française (1). Par ce supplément d'âme qu'il donne à son CV d'énarque en tâtant de la philosophie - il est un temps l'assistant de Paul Ricoeur - et de la politique - il milite dans le Pas-de-Calais dans les années 2000.
Emmanuel Macron, 35 ans, grand-père...
Par sa vie personnelle, pas banale. Quand il dit qu'il va rejoindre ses petits-enfants en week-end, le trentenaire ne parle pas de ses enfants en bas âge, mais bien de ses petits-enfants. En réalité, ceux de sa femme, vingt ans de plus que lui et mère de trois grands adultes. Cette professeure de français enseigne dans une institution religieuse réputée de la capitale. "Elle est de ces profs dont les élèves se souviennent longtemps, parce qu'elle leur a donné le goût de la littérature", relate l'un de ses collègues. Avant d'entrer à l'Elysée, il a demandé à avoir la main sur l'économie, le social et l'Europe.REUTERS/Bertrand Langlois/PoolCes derniers temps, Emmanuel Macron est dans la peine: en avril, il a perdu sa grand-mère. Une passion. A 5 ans, le petit Amiénois demande à vivre avec cette directrice d'école. En pratique, elle l'élève autant que ses parents, tous deux médecins. Cet enfant de la bourgeoisie et de la province, formaté par les jésuites et les écoles de l'élite, n'a pas le cynisme de son profil. Il est (encore?) protégé par son enthousiasme, voire sa naïveté, et par son humour. A l'Elysée, pendant les réunions ennuyeuses - et il y en a -, il envoie des SMS aux autres conseillers, ceux qu'il aime bien, pour croquer une situation ou moquer un personnage. Il en expédie aussi à 2 heures du matin: le Mozart de l'Elysée dort de quatre à cinq heures par nuit, par obligation, par inclination. A l'Inspection des finances (2004-2008), il ne se signale pas uniquement par un rapport sur la gestion de la trésorerie de l'Etat. Il fait rire ses camarades. "Il était mon voisin de bureau et, quand je rentrais de mission, j'allais le voir pour décompresser", raconte Sébastien Proto, le jumeau de Macron. Elèves de la promotion Léopold Sédar Senghor de l'ENA (2004), ces deux-là alternent cabinets et banque d'affaires. La gémellité s'arrête là où commence la politique: "Je suis de droite, sarkozyste, il est de gauche", affirme Proto, qui a travaillé avec Eric Woerth et Valérie Pécresse. Les deux hommes ont échangé beaucoup de textos durant la campagne. Ils continuent à se voir et à "se faire la bise".La Sarkozie l'a dragué en 2007, en vain
Macron aurait pu, lui aussi, embrasser la Sarkozie, qui l'a sollicité en 2007. "Mais il avait choisi la gauche, confirme un ancien conseiller de l'ex-président, bien que, intellectuellement, je ne voie pas très bien ce qui nous sépare. Du moins en matière économique." Il n'est pas étonnant que deux tenants d'une gauche pétrie de réalisme, Jean-Pierre Jouyet, ami de Hollande, et Jacques Attali, recruteur du jeune François en 1981, l'aient repéré. Jouyet l'encourage à travailler pour Hollande. Attali aussi, qui l'a présenté au futur président au cours d'un dîner, en 2007, et le choisit pour être rapporteur général adjoint (puis membre) de sa Commission pour la libération de la croissance française. Un concentré d'expertises et d'ego que l'intelligence analytique de Macron réussit à harmoniser. Au milieu des années 2000, le jeune technocrate produit quelques notes pour l'équipe de DSK. Il est de nouveau sollicité à la fin de 2010. En vain. Il appartient alors à la petite troupe qui se réunit tous les lundis matin du côté du Trocadéro, dans l'appartement parisien d'André Martinez, camarade d'HEC de François Hollande. Puis, de juillet à décembre 2011, il anime un cénacle d'experts et d'économistes, le groupe de la Rotonde, qui rapporte tous les quinze jours au candidat.Je n'irai pas à l'Elysée pour faire des vieux trucs (Emmanuel Macron)
Déjà, on parle de lui comme du futur secrétaire général adjoint de l'Elysée. Sûr de sa valeur, il n'acceptera pas moins. Il veut avoir la main sur l'économie, le social et l'Europe, triptyque indissociable selon lui. Au début de mai 2012, il s'est déjà renseigné: le passage de Rothschild à l'Elysée n'est pas contraire aux règles déontologiques. La feuille de route est dans sa tête: redresser les comptes publics et retrouver de la compétitivité, y compris à coups de réformes dites libérales, qui font hurler la moitié des socialistes. Marché du travail plus flexible, mise sous conditions de ressources des allocations familiales et des remboursements maladie, lutte contre les "rentes de gauche", celles de la fonction publique. Mais il croit aussi que l'on peut augmenter les impôts et qu'"une société respire mieux quand chacun réussit selon ses mérites et quand l'Etat est présent dans les moments durs de la vie". En mai 2012, il annonce à un proche: "Je n'irai pas à l'Elysée pour faire des vieux trucs."
La Macron-économie, c'est quoi?
C'était il y a un siècle. Depuis, l'apprenti du pouvoir a compris la différence entre un rapport de la commission Attali et la politique version Hollande. "Certains jours, il s'en accommode, d'autres, il s'impatiente", dit l'un de ses amis. Pourtant, les grands choix vont dans son sens. La réduction de la dépense publique est engagée, comme la bataille de la compétitivité, certains excès fiscaux du début du quinquennat sont corrigés (mode de paiement de la taxe à 75% sur les très riches, fiscalité des plus-values mobilières), la flexibilité du marché du travail est lancée à travers la loi qui transpose un accord des partenaires sociaux. Macron s'y implique, rencontrant Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, à plusieurs reprises pour le convaincre de grogner avec parcimonie contre ce texte qu'il a refusé de signer. Le secrétaire général adjoint joue aussi, avec succès, un rôle protecteur des patrons d'entreprises publiques tour à tour menacés: Carlos Ghosn (Renault), Stéphane Richard (France Télécom), Henri Proglio (EDF) et, tout dernièrement, Jean-Paul Bailly (La Poste). Il est enfin le metteur en scène et le pédagogue de la stratégie de redressement des finances publiques, en particulier auprès de Berlin: plaider que la France respectera l'objectif de retour des déficits publics au-dessous de 3 % du PIB, mais plus lentement que prévu. Dans le film Le Pouvoir, il émerge quand les autres se signalent par leur silence ou leur déférence.J.-C. Coutausse/DivergenceLa Macron-économie semble à l'oeuvre, mais il faut un entomologiste très minutieux pour la déceler, tant les piétinements divergents des Ayrault, Moscovici, Montebourg, Le Foll ou Duflot brouillent les pistes. Peu de ministres portent le message de cette social-démocratie chère au secrétaire général adjoint. Si le premier d'entre eux s'en revendique, son expression est couverte par un président soucieux d'équilibres politiques. Macron semble d'autant plus isolé que le naufrage de Jérôme Cahuzac l'a privé d'un allié. Les deux hommes se connaissent depuis 2008, Macron fait partie de ceux qui ont réconcilié le député de Lot-et-Garonne avec le candidat Hollande. "Pourtant Cahuzac se sentait mal aimé de l'Elysée, Macron y était sa seule attache", note un ministre. En décembre, quelques jours après les révélations de Mediapart, le conseiller de Hollande confie: "Je crois ce qu'il dit, c'est mon ami.". Aujourd'hui, il conjugue cette amitié à l'imparfait.Ce que François Hollande pense de lui...
La Macron-économie existe, mais François Hollande n'est pas homme à s'en remettre à un seul inspirateur. Il n'est pas Nicolas Sarkozy, pour qui Xavier Musca, secrétaire général adjoint puis secrétaire général, était le grand chambellan de l'économie. Et Emmanuel Macron n'a ni l'expérience administrative et politique ni la stature internationale d'un Xavier Musca, qu'Angela Merkel reconnaissait et appréciait. D'ailleurs, en Hollandie, les conseillers n'ont pas de vie propre. C'est donc à titre exceptionnel que le président a accepté de parler de Macron à L'Express: "C'est un bon élément, original et créatif." Les deux hommes s'aiment bien, ils partagent le goût des bons mots et la détestation des conflits. Mais, à l'Elysée, Macron n'est pas un enfant unique. S'il s'entend bien avec Aquilino Morelle, conseiller politique, il doit cohabiter avec Philippe Léglise-Costa, spécialiste des questions européennes, diplomate aussi discret que Macron est solaire. Et avec Pierre-René Lemas, le secrétaire général. Entre ce préfet, soucieux de préserver la France telle qu'elle est, et l'inspecteur des finances, qui la rêve telle qu'elle devrait être, le courant ne passe pas vraiment. Dans le film de Patrick Rotman Le Pouvoir, sorti en salles le 15 mai, un seul collaborateur émerge quand les autres se signalent par leur silence ou leur déférence: Emmanuel Macron intervient avec naturel, insiste pour que le président donne de la profondeur à son action et se projette en 2020. Il parle avec familiarité d'Angela Merkel: "Elle veut danser le tango avec toi et elle pense que c'est elle qui doit mettre la jambe droite. Nous, on pense pareil."C'est un bon élément, original et créatif (François Hollande)
Macron écrit aussi de longues notes pour le chef de l'Etat, afin de préciser sa pensée, notamment sur la social-démocratie. Dans les réunions avec ministres, il lui arrive de presser son patron de réduire les dépenses. "Ah oui, mais il faut dire lesquelles!" rétorque le président. Rien n'échappe à ce faux débonnaire qu'est François Hollande. "Tiens, on t'a beaucoup vu", remarque-t-il, lorsque son conseiller apparaît dans des articles. Et quand il apprend - très vite - que Macron vient de partager un petit déjeuner avec un grand patron étiqueté sarkozyste, il interroge: "Que faisais-tu chez lui?" Ces incartades et escapades sont constatées, mais tolérées, car utiles: "Macron est le lien avec une certaine économie que l'on n'aime pas, mais avec laquelle il faut composer", dit un PDG.
Macron est le lien avec une certaine économie que l'on n'aime pas (un PDG) A quoi sert la Macron-économie? A calmer les patrons. Ils entrent, vibrants d'espoir, dans le bureau du secrétaire général adjoint, ils en sortent des étoiles plein la tête. "Vous êtes d'accord avec lui à 100%, cela en est même troublant", soupire l'un de ces visiteurs. Et après? Rien ou pas grand-chose à leurs yeux. Ils ne voient pas les dépenses publiques se réduire, malgré les promesses, ils redoutent de nouvelles hausses d'impôts. Laurence Parisot est l'une des rares à plaider en sa faveur. "Les patrons sont trop gourmands, Emmanuel est un précieux relais de la voix des entreprises. Il a été le premier, dès juin, à comprendre les exigences de la compétitivité", dit la présidente du Medef.
Trop politique pour les patrons, trop libéral pour les politiques...
La Macron-économie est donc condamnée à la suspicion: trop politique pour les patrons, trop libérale pour les politiques. Le secrétaire général adjoint, c'est son rôle, navigue entre ces mondes. Environ tous les deux mois, il continue de réunir le groupe de la Rotonde à l'Elysée. Il consulte ses aînés de l'Inspection des finances. Avant de choisir la banque d'affaires - il entre chez Rothschild en septembre 2008 -, il avait sondé Alain Minc, l'un des parrains de cette institution. Qui lui indique le chemin de la finance privée, avec ce commentaire: tu gagneras de l'argent et la liberté de faire ensuite de la politique. Il interroge aussi Xavier Musca, qui lui donne l'avis inverse, préférer le service public. Marque de courtoisie, Macron téléphone à ce dernier après que Jean-Marc Ayrault a annoncé, le 23 mai 2012, que Xavier Musca ne serait pas nommé à la tête de la Caisse des dépôts. Les contacts n'ont pas cessé : de l'Elysée, Macron téléphone encore à Musca pour lui demander son avis au moment de la crise chypriote, en mars.Passer de la banque à l'Elysée et vice versa, c'est très sarkozien... (Emmanuel Maurel)
Les ministres qui le connaissent l'aiment bien. Pierre Moscovici, sans surprise; plus curieusement, Arnaud Montebourg, alors que les deux hommes, c'est un euphémisme, ne sont pas tout à fait sur la même ligne. Avec Marisol Touraine, il prend un petit déjeuner environ tous les mois. Il a fait connaissance avec Cécile Duflot lors d'un déjeuner, en février, organisé par le directeur du cabinet de la ministre du Logement, Manuel Flam. Pascal Canfin, lui, est encore surpris que Macron l'ait soutenu dans un combat peu orthodoxe: affecter une partie du produit de la taxe sur les transactions financières au développement des pays pauvres et non au seul désendettement de la France. Tous ne tombent évidemment pas sous le charme: Emmanuel Maurel, chef de file, au PS, du courant Maintenant la gauche, se dit gêné par ce parcours typique d'une "oligarchie qui passe de la banque à l'Elysée et vice versa; c'est très sarkozien".
Président de la République dans vingt ans?
La banque, l'argent... Partageant un café avec Macron dans le bureau de celui-ci, un conseiller de l'Elysée ressent un choc en découvrant le montant du tiers provisionnel dû par son hôte - l'imprimé fiscal traîne sur la table : une somme à six chiffres ! Macron n'est pas resté assez longtemps chez Rothschild pour devenir riche à millions, mais il a très bien gagné sa vie en 2011 et pour les cinq premiers mois de 2012: 900 000 euros (550 000 après charges et impôts), à comparer à ses 156 000 euros annuels aujourd'hui, rémunération identique à celle du président de la République. L'ex-banquier ne paie pas l'ISF (à partir de 1,3 million d'euros). A un ami il avait confié qu'il ne resterait pas plus d'un an ou un an et demi à l'Elysée. Et après? La politique? Les uns le verraient bien ministre de Hollande, mais la mode est aux poids lourds de la politique. D'autres suggèrent un retour vers la banque, la direction d'une grande entreprise. Jacques Attali fait plus simple: président de la République dans vingt ans. La rumeur dit que l'ancien conseiller de François Mitterrand cherche déjà le Macron de Macron! (1) Témoignage de sa professeure d'histoire cité par , le 17 mai 2012.En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elysee-emmanuel-macron-l-ex-banquier-qui-murmure-a-l-oreille-de-francois-hollande_1249011.html#HkSHFkduAEZuuEFP.99