Comme chaque année, un jeune adolescent de 11 ans part à la chasse avec son père, l'ami de celui-ci et son grand-père dans une réserve de deux cent cinquante hectares. Mais cet automne 1978 est bien différent des précédents car pour la première fois de sa vie, le jeune garçon va avoir le droit et l'honneur de se servir de son fusil et de chasser son premier cerf.
Ce que nous voulions, c’était courir ainsi, pourchasser notre proie.
C’était l’intérêt. Ce qui nous poussait à courir, c’était la joie et la
promesse de tuer.
Tuer est son seul objectif, découvrir ce bonheur là.
Il n’existait pas de joie plus totale et plus immédiate
que celle de tuer. Même la simple idée de tuer était meilleure que
n’importe quoi d’autre.
A leur arrivée sur place, ces hommes observent par la lunette de leur fusil un braconnier. C'est alors que l'irréparable se produit lorsque le fils à son tour regarde et aussitôt presse la détente de son arme.
Pour ceux qui connaissent David Vann, vous retrouvez dans ce roman l'ambiance de Sukkwan island, cette nature oppressante et cette tension à chaque page.
Sauf qu'ici, David Vann décide de lancer les hostilités dès les premières pages, sans préavis. Le lecteur est pris au vif, anéanti.
Un scénario inenvisageable pour un père, celui d'un fils meurtrier. Alors que faire dans l'immédiat ? Se débarrasser du corps ? Se livrer à la police ? Continuer à chasser comme si de rien n'était ?
Toucher les morts. Nous ne sommes pas censés toucher les morts. C'est la raison pour laquelle nous leur préparons une vie confortable dans l'au-delà, afin qu'ils ne tendent pas les bras vers nous. Nous espérons détourner leur attention, les occuper. Un enterrement est un espoir.
Un souvenir marquant que l'enfant nous raconte devenu adulte. Chaque homme se positionne différemment face à ce mort gisant à leur pied, face à ce gamin qui ne semble pas réaliser ce qu'il vient de faire. Pourtant l'impuissance de chacun semble prendre le dessus.
On ne peut pas remodeler sa propre nature, et les personnes morales sont toujours impuissantes face à ce que nous sommes.
Comment affronter les conséquences irrémédiables d'un tel acte quand on a seulement onze ans ?
Mais à onze ans, le temps était illimité et inconnu, la vie semblait pouvoir s'étendre à l'infini, et je marchais dans l'herbe sans sentir ni mes chevilles ni mes genoux ni mon dos, rien ne m'avait encore trahi, mes muscles et mes os encore liées. Je n'éprouvais aucune culpabilité, aucun remords, aucune inquiétude comme je les connais à présent, rien que de l'impatience, rien que le mouvement.
Le grand-père, véritable avocat du diable mettra son fils et son petit-fils face à leurs responsabilités sans ménagement aucun, avec une rudesse sans bornes.
Le père quant à lui, oscillera entre protection et abandon de son fils.
Le personnage de Tom, ami du père, hésitera sur le choix de quel parti prendre, tout en essayant vainement de se préserver et de conserver son intégrité morale.
La nature prend des allures d'Enfer. Des situations extrêmes, dangereuses, qui m'ont rappelé ma lecture de Délivrance, où des choix cruciaux doivent être faits et rapidement.
David Vann nous rappelle, en écho à sa propre histoire familiale, que les morts font définitivement partis des vivants, et qu'ils nous habitent à jamais.
Il maîtrise son récit dans la durée, crée une véritable escalade de sauvagerie où les défis face à la mort remonteraient à la nuit des temps. Il fait ressortir chez chacun de ses personnages sa propre animalité, ses réflexes les plus primaires, son instinct de survie.
La Bible n'a rien à voir avec dieu. La Bible est le récit de notre éveil, une récupération, un rêve atavique racontant la première fois que nous avons appris la notion de honte dans le jardin, la première fois que nous nous sommes considérés comme différents des autres animaux, et Caïn fut le premier à découvrir que certains d'entre nous ne se réveilleraient jamais. Certains d'entre nous agissent selon leurs instincts, et cela ne changera pas. Les dix commandements dressent la liste de ces instincts qui ne nous quitteront jamais.
Un autre très beau passage à mes yeux :
La durée. Ce que nous offre la nature, c'est la durée, la promesse que lorsque nous paniquons, que nous sommes pris au piège et que nous voulons être n'importe où ailleurs, cet instant s'étirera, continuera, grandira, empirera. Ce monde inventé pour des raisons qui ne nous prenaient pas en compte, mais nous l'oublions et c'est pourquoi nous sous-estimons tout.
A la fin du récit, le lecteur apprend que ce roman est un retour au matériau de la première nouvelle que j’ai écrite, il y a de cela plus de 25 ans. Ce roman consume les derniers éléments qui, à l’origine, m’ont poussé à écrire : les récits sur ma famille et sa violence. Il revient également sur mes ancêtres cherokees, et leurs interrogations lorsqu’ils furent mis face à l’idée de Jésus.
Une lecture éprouvante qui laisse son lecteur à bout de souffle. Mais rien de moins étonnant pour ceux qui connaissent ses romans. Une histoire magistrale, sans concession, d'une grande férocité, mais sublime aussi.
David Vann - Photo Diana Matar
Encore un roman marquant comme tous ceux de l'écrivain (Sukkwan island, Désolations à découvrir ici ou Impurs).Goat mountain est son quatrième roman à découvrir sur le site de l'éditeur
Goat Mountain - David Vann - Editions Gallmeister - 2014 - Traduction de l'américain par Laura Derajinski.