Garaudy, c’est fini
Robert MAGGIORI 15 juin 2012
Disparition. Le philosophe et politicien est mort mercredi à 98 ans, après une vie émaillée de conversions, religieuses comme politiques.
C’est une vie d’engagements passionnés et de revirements déconcertants, d’ouverture et de dogmatisme, de clairvoyance et de cécité, qu’a menée Roger Garaudy, philosophe et homme politique né à Marseille en 1913 et disparu mercredi à Chennevières-sur-Marne (Val-de-Marne).
Absent de la scène ces dernières décennies, il avait été l’un des principaux animateurs des débats politiques et théoriques des années 60-70. Issu d’une famille athée d’ouvriers et de marins, converti au protestantisme, agrégé de philosophie, Roger Garaudy adhère au Parti communiste en 1933, quand Hitler devient chancelier. Il vit intensément l’expérience du Front populaire et participe au conflit mondial, en obtenant la Croix de guerre. Arrêté par le gouvernement de Vichy en 1940, il est détenu en prison puis dans un camp pendant trente mois. A la Libération, député du Tarn, il entre au Comité central du PCF. De nouveau élu en 1956, il sera vice-président de l’Assemblée nationale, puis sénateur jusqu’en 1962.
Humanisme. D’abord ouvertement «stalinien», Garaudy élabore, sur le plan théorique, un humanisme marxiste, marqué par la découverte des théories d’Antonio Gramsci (auxquelles, à la même époque, s’oppose Louis Althusser), qui promeut un matérialisme dans lequel l’homme puisse se créer lui-même par ses actes, et qui soit ouvert au dialogue avec d’autres visions du monde, notamment chrétiennes. Le philosophe, retenant de Marx que la religion est certes opium du peuple mais aussi reflet de la misère réelle et protestation contre elle, veut définir un concept de «transcendance non aliénée», qui soit vidé de la propension à renvoyer dans l’au-delà toute solution des problèmes de la vie d’ici-bas, et ne conçoive pas le rapport Dieu-homme sur le mode maître-esclave.
Dès 1946, il avait analysé les apports, en ce domaine, des autres civilisations, en publiant Contribution historique de la civilisation arabo-islamique. Mai 68 et l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars soviétiques le conduisent à s’opposer durement à la politique du PCF. Peut-on être communiste en 1968 ? et Pour un modèle français du socialisme lui valent, en 1970, d’être exclu du Parti. Les titres des livres qu’il publie ensuite suffisent à attester sa volonté de poursuivre, quitte à la projeter dans une dimension utopique, la quête d’une voie démocratique vers le socialisme : Reconquête de l’espoir (1971), l’Alternative (1972), Danser sa vie (1973), le Projet espérance (1976)…
En 1977, il réaffirme son esprit d’ouverture dans Pour un dialogue des civilisations. Nette est l’attraction qu’il ressent pour le mysticisme des cultures orientales, susceptible, à ses yeux, de corriger le rationalisme trop rigide et l’individualisme de l’Occident. Au début des années 80, il se convertit à l’islam, et publie Promesses de l’islam (1981), Pour un islam du XXe siècle (1985), Palestine, terre des messages divins (1986), Intégrismes (1990).
Révisionnisme. Antisioniste, Garaudy commet son «suicide» moral et intellectuel en 1996, en publiant les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Là, il ne fait plus preuve de ce révisionnisme qui le fait s’écarter de l’orthodoxie du Parti, mais de révisionnisme historique, de négation de la Shoah : «Je révise simplement les conclusions du procès de Nuremberg et les principes qui l’ont fondé.» En 1998, il est condamné pour «contestation de crimes contre l’humanité». De l’humanisme au dialogue des civilisations, du stalinisme à l’antistalinisme, de l’intégrisme au négationnisme : itinéraire tourmenté d’un intellectuel de ce «court XXe siècle».
Robert MAGGIORI