Pour son premier long métrage, Les combattants Thomas Cailley frappe fort avec une comédie romantique atypique centrée sur l’apprivoisement, notion oubliée dans notre monde d’hommes pressés. Il emporte dans son échappée belle, la solaire Adèle Haenel (dont on vous a parlé pour L’homme qu’on aimait trop), et le nouveau talent à suivre Kévin Azaïs.
Arnaud (Kévin Azaïs), menuisier au sein de l’entreprise familiale, profite de ces moments de libre en squattant le bord de mer, accompagné de ces amis proches. Sur la plage, un camion de l’armée de terre tente d’obtenir de nouvelles recrues. Inscrit d’office par ses camarades à un cours de self-défense, il gagne de justesse face à Madeleine (Adèle Haenel), une inconnue. Ces deux-là ne vont pas tarder à se rencontrer à nouveau lors qu’Arnaud gagnera un contrat pour construire une cabane de jardin chez les parents de Madeleine.
Madeleine (Adèle Haenel) et Arnaud (Kévin Azaïs)
Les combattants portent vraiment leurs titres à merveille, une décoration à double entrée, combattants au sens martial comme au quotidien. Arnaud n’hésite pas à reprendre le dur labeur de son père aux côtés de son frère, Manu (Antoine Laurent) tandis que Madeleine, en attente après des études d’économie avortée, est obsédée par la fin des temps, l’inexorable chute de l’espèce que personne ne semble apte à enrayer. Les deux ont pour dénominateur commun d’être membre d’une génération sacrifiée, première à être pleinement imprégnée du désastre annoncé. Ainsi se mêlent les préoccupations à court-terme, l’angoisse de ne pas trouver sa place dans un monde du travail sclérosé et l’indicible névrose de l’humanité : l’extinction à moyen-terme. Les enfants des années 90 sont nés avec la double responsabilité d’assumer leur vie et de se battre contre les éléments que les générations précédentes ont déchaîné contre eux. Ils ne savent plus s’ils doivent avoir peur de la crise qui les handicapent dans leurs projets d’avenir, où bien s’ils doivent se préoccuper davantage du réchauffement climatique. Dans tous les cas, ils n’ont pas d’autre choix que de devenir des combattants. Redoubler de travail, à l’image d’Arnaud, ou bien s’armer pour survivre comme Madeleine.
Arnaud (Kévin Azaïs) et Madeleine (Adèle Haenel)
Madeleine oublie une chose dans sa quête survivaliste : il ne suffit pas d’acquérir les meilleures techniques de l’armée, il faut être bien accompagné. Survivre à la fin du monde, ça sera surtout survivre à l’ennui, s’occuper sans trop dépenser de calorie, se préserver. Au début de l’aventure, Madeleine n’est pas vraiment ouverte aux sentiments amoureux, peut-être considère-t-elle ces derniers inutiles dans une optique apocalyptique. Arnaud s’en naître en lui suffisamment d’amour pour qu’il décide d’apprivoiser Madeleine et de la suivre dans son combat. L’ombre de Saint-Exupéry n’est jamais loin dans Les combattants. Dans les yeux d’Adèle Haenel se lit une révolte sourde seulement soulagée par la présence réconfortante d’Arnaud. Lorsque ses cils papillonnent, comme par magie, son air sauvage est métamorphosé par l’amour. Arnaud, amoureux transi, prend son temps pour devenir unique au monde. C’est véritablement avec le cœur que les deux amoureux verront l’essentiel. C’est lorsque, vivant d’amour et d’eau fraîche, le monde les rattrapera qu’il faudra pour les tourtereaux combattre à nouveau. Le film prend alors des allures fantastiques où le feu devient une entité menaçante, terrible rappel du fait que s’il n’y a pas d’amours heureux, ce sont les éléments extérieurs qui les ternissent bien souvent. Et si c’est le cas, qu’il n’y a pas d’amour heureux, comme le dit Aragon, c’est tout de même leur amour à eux deux. Madeleine et Arnaud vont vivre leur petite apocalypse intime. La prochaine fois, ils seront mieux préparés.
Madeleine (Adèle Haenel) et Arnaud (Kévin Azaïs)
Combattants du quotidien dans un monde incertain, c’est l’amour qui sauvera Madeleine et Arnaud. S’il n’y a qu’un couple conscient comme eux de l’inéluctable, alors nous sommes sauvés. Et à l’heure de conclure cet article me vient une dernière référence dont je serais curieux de savoir si elle n’a pas influencé Thomas Cailley, ces quelques vers d’Anne Sylvestre :
«Aujourd´hui, tu dois me croire
C´est pour toi que je vivais
En attendant la nuit noire
Ne me quitte plus jamais
Je ne veux plus penser même
Qu´il y avait un ciel bleu
Je souhaite à tous ceux qui s´aiment
De mourir comme nous deux »
Boeringer Rémy
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