Le décrochage provoqué pendant les vacances nous réapprend des réflexes parfois oubliés, la capacité à rêvasser, à observer et s’étonner de petites choses, à oser explorer, à prendre du recul et du temps pour réfléchir. Toutes ces postures nous conduisent souvent à avoir des » flashes », « eurekas » ou « insights » (= changement inattendu dans notre façon de comprendre les choses ), nous permettant de relier comme par magie les points différemment.
Rien de paranormal à ce phénomène parfaitement expliqué par les neurosciences : notre cerveau apparemment en sommeil garde les sujets qui le préoccupent en mémoire (un peu comme un moteur au ralenti) ; le fait de s’éloigner d’un sujet de réflexion en cours accélère ensuite les connexions inédites.
Cet état nous permet de dépasser notre façon usuelle d’analyser l’information au quotidien. En effet, nous avons tendance à nous concentrer sur un type d’information et à appliquer des biais qui ferment notre réflexion plutôt que de l’ouvrir (pour l’analyse plus détaillée de nos biais quotidiens, voir le billet » la carte n’est pas le territoire « ).
Pourtant, « voir ce que les autres ne voient pas » ou « insights » reste une des conditions de succès des organisations innovantes ; pour rappel, voici quelques exemples non exhaustifs et très synthétiques, issus de différents domaines :
Insight Apple : la convergence numérique / innovation produit : IPhone
Insight Procter & Gamble : la nécessité de s’ouvrir pour mieux innover ou « ensemble on est plus forts » / Innovation de process : approche par l’innovation ouverte
Insight Muhammad Yunus : le besoin de support financier des populations oubliées du crédit / Innovation service : le micro-crédit dans les pays émergents
Insight Renault : le besoin de transport individuel fiable et pas cher dans des pays où les infrastructures de transport sont peu développées / Innovation produit : le concept de voiture low-cost
Insight Vineet Nayar, ex-PDG indien de HCL Technologies : le besoin de redonner confiance et sens aux employés /Innovation managériale : redonner le pouvoir aux employés avant les clients pour plus d’engagement
Si certains de ces fameux « insights » surgissent souvent durant des temps que j’appelle « détournés », à savoir les vacances, les loisirs, les discussions informelles, le sommeil etc…les deux questions essentielles sont :
1. Comment maintenir cette dynamique inédite de discernement accru ?
2. Comment reconnaître un « insight » capable de transformer radicalement certains marchés ou situations pour nourrir la capacité d’innovation de son équipe/organisation ?
Je vous invite à une rétrolecture avec le livre » Seeing what others don’t – the remarkable way we gain insights « – paru en 2013 – du Dr Gary Klein, spécialiste renommé en psychologie cognitive.
Comme l’explique Klein dans son ouvrage : « les entreprises ne favorisent pas forcément la recherche d’insights car ceux-ci sont par nature dangereux : ils remettent en cause l’ordre établi, ils vous invitent non seulement à penser différemment une situation ET s’ils sont suffisamment puissants (annonciateurs de #rupture) ils remettent également en question la façon dont vous vous comportez, agissez, ressentez les choses et même vos objectifs.
Comment développer cette capacité à reconnaître un « insight transformant » ?
Le spécialiste détaille dans son livre l’étude qualitative qu’il a menée sur 120 insights qui ont transformé le monde (Einstein, Darwin, Fleming…) et il en a tiré la conclusion suivante : il existe trois techniques remarquables pour « trouver des insights, sources de ruptures » +1 (résumées en anglais dans le dessin ci-dessous)
- Chercher des connections inédites (80% des insights étudiés) : entre votre marché et d’autres marchés qui n’ont rien à voir avec le vôtre (par exemple si vous êtes dans les services financiers ou autres, aller voir comment d’autres marchés adressent votre sujet : dans le luxe, dans d’autres pays etc…).
- Chercher les contradictions (40% des insights étudiés) : identifier les discontinuités de comportements et de croyances
- Chercher les sursauts créatifs (20% des insights étudiés) : ces entreprises, marques, personnes qui, au pied du mur, ont dû faire différemment et se réinventer avec succès (IBM, Polaroid et son projet « Mission impossible » etc…).
- Chercher les coincidences et l’insolite (environ 10% des insights étudiés) : comme Fleming en remarquant le comportement étrange des bactéries avec la moisissure qui le conduisit à découvrir la pénicilline.
Il manque néanmoins la pierre angulaire ou le premier petit pas pour découvrir des insights : il faut être un esprit préparé et formé pour se lancer à la chasse aux insights , il faut (ré) #apprendre à regarder et avant d’apprendre à regarder il faut avoir la #curiosité de regarder.
Pour maintenir cette capacité à « voir ce que les autres ne voient pas », la première étape consiste avant tout à réintroduire dans votre équipe ou organisation la notion ET la capacité de « curiosité partagée ».
J’insiste, il s’agit de curiosité partagée…pour innover et non pour le plaisir d’être plus curieux ensemble. L’intention doit être claire : pour innover, les nouveaux savoirs, les nouvelles idées, les insights restent l’ingrédient de base, mais non partagés et non transformés ils ne servent à rien. La démarche a pour enjeu de développer en interne la transformation d’informations nouvelles et pertinentes (des objectifs ont été fixés) en une action et expérimentation directes (nouvelles façons de faire, de délivrer un service, de produire etc…).
Voici quelques pistes pour maintenir cette fameuse dynamique de curiosité-orientée-innovation :
1. Se demander où j’en suis et où en est l’équipe de sa curiosité ?
Qu’est-ce qui me rend curieux ? Qu’est-ce qui nous rend curieux ? Quand ai-je été surpris la dernière fois par une information, un fait…?
Comment utiliser notre curiosité pour regarder différemment nos marchés, problématiques … ?
Comment développer notre curiosité sur certains sujets…?
2. Utiliser d’abord le « temps ensemble » différemment pour redonner confiance dans la capacité de chacun à être curieux
Ne sous-estimez pas le pouvoir des questions réflexives pour aider une équipe ou vous-même à prendre du recul et à entrevoir un sujet sous un angle nouveau.
Pour ce faire, je vous invite à relire les démarches détaillées dans les trois billets : « Apprendre à désapprendre, la clé de l’adaptabilité » , « Quelles questions pour développer la curiosité ? » et « Vision panoramique et questionnement exigé pour innover ou comment Steve Jobs a requestionné son marché »
3. « Institutionnaliser » la curiosité (en faire un plaisir et une habitude)
Avec un cabinet de #curiosités (physique ou virtuel), s’étonner, se poser des questions (cf. ci-dessus), tester, prototyper les nouvelles réponses apportées par les insights (principe de « preuve par l’exemple », la preuve même imparfaite permet de rendre les « pépites » tangibles et adapter les nouvelles solutions plus vite).
4. Amplifier
Une fois que les habitudes sont prises, chacun se sent capable d’explorer plus loin et développe la responsabilité de ses recherches (en fonction de la maturité de l’équipe ou de l’organisation des outils collaboratifs peuvent permettre de systématiser et d’élargir le champ de partage. Je me place dans la perspective d’amorçage avec une équipe et de donner envie avant de coller tout le monde devant des outils).
La réussite de la démarche repose sur deux dimensions à combiner : partir de la curiosité de chacun (même si parfois elle semble éteinte), tout en la mettant en perspective avec les objectifs stratégiques de l’équipe ET rester centrés sur des sujets adjacents à ceux que vous avez l’habitude de traiter. Sinon vous risquez de créer la confusion, voire la peur ou le rejet.
En effet, le chercheur en psychologie Loewenstein, dans son article daté de 1994 « La psychologie de la curiosité » a introduit la « théorie de l’écart informationnel » pour mieux appréhender les déterminants de la curiosité :
De façon très résumée, Loewenstein a démontré au travers de sa courbe explicative que la curiosité demande un minimum de connaissances préalables, puis? plus nous disposons de connaissances, plus nous devenons curieux et plus nous avons envie d’acquérir de nouvelles connaissances (car nous avons conscience de l’écart à combler pour en savoir plus)…jusqu’à un point de stagnation où nous nous refermons car nous nous considérons expert et notre curiosité chute.
Ces recherches soulignent l’importance de piquer la curiosité ou d’ouvrir la curiosité avec des informations (quelles qu’elles soient) relativement proches de la base de connaissances de chacun (d’où ma préconisation de se centrer au départ sur la curiosité de chacun) tout en se méfiant de devenir Expert !
Ou pour utiliser une image très simple, si vous n’avez jamais fait le grand écart, vous avez peu de chances de le réussir du premier coup, au risque de vous abîmer quelques ligaments au passage. En revanche, en vous échauffant tous les jours, vous pourrez y arriver. De même si vous êtes déjà le roi ou la reine du grand écart (bravo à vous !), que pouvez-vous faire de plus que le grand écart ? Rien a priori, à moins d’utiliser votre souplesse pour d’autres exercices et objectifs
En conclusion, « voir ce que les autres ne voient pas » commence par s’exposer à de nouvelles informations et se sentir libre de le faire (être autorisé mais aussi trouver sa formule personnelle pour décrocher).
Pour s’exposer, il faut l’envie et la curiosité. Certains ont gardé cette curiosité, d’autres ont besoin de la réactiver.
Tout comme les vacances restent un temps privilégié pour oser regarder autrement, s’exposer à plus d’inconnu et cela de façon apparemment naturelle, vous pouvez maintenir cette dynamique en reprenant les étapes citées dans ce billet.
Quels résultats pouvez-vous en attendre ? De nouvelles connaissances pour action, du plaisir à partager ses insights et à les transformer, une autre façon de se co-développer et de grandir ensemble dans une équipe, plus d’innovation…mais quels éléments de performances économiques pour les entreprises apprenantes (expression consacrée par Peter Senge) ? Les études menées notament par Bersin by Deloitte (cabinet spécialisé dans le développement des talents) nous explique que sur leur panel d’entreprises ils constatent des croissances de chiffre d’affaires multipliées par trois entre 2008 et 2011.
A mon avis, cela semble relativement difficile à quantifier. Néanmoins pour soutenir leur constat, toutes les organisations innovantes développent des stratégies intensives de développement et de partage des connaissances qui souvent n’ont plus rien à voir avec de la formation stricto sensu.
Pour plus d’informations, demandez le programme ! Nous avons développé des conférences expérientielles et programmes sur le thème « Oser la curiosité pour innover »