Depuis que son EP est sorti on attendait son premier album avec impatience. Hozier, Andrew de son prénom a fait plus que du bon boulot, son album est une pure merveille, et on ne mâche pas nos mots (on t’en parle bientôt !). On rencontre l’Irlandais dans une belle suite d’hôtel parisien la veille de son concert à Rock en Seine. Très pragmatique, le garçon accepte de répondre à toutes nos questions avec discernement et grande classe. Un artiste plein de noblesse, comme on les aime.
RockNfool : Comment ça va ? Tu reviens à peine des États-Unis ou de Londres non ?
Hozier : Ça va bien ! En fait j’étais aux États-Unis il n’y pas si longtemps que ça, mais ce genre d’expérience devient vite floue au retour. On a pris le train à Londres ce matin, et on y retourne demain je crois pour un festival. Je suis un peu fatigué car on a tourné un clip hier soir tard, un clip qui ne va pas sortir tout de suite.
Qu’est-ce que ça te fait d’être le nouveau talent, celui que l’on s’arrache un peu partout (Ellen Show, David Letterman etc.) ?
C’est sur que Ellen c’était une expérience incroyable, et tourner aux États-Unis c’est fantastique, le public est vraiment encourageant. C’était irréel. Mais j’essaye de ne pas trop y penser car j’ai encore beaucoup de travail, et je ne veux pas me mettre à penser ça. Tout se passe bien, mais j’ai encore beaucoup à faire.
Comment fait-on pour chanter du blues quand on est Irlandais ?
Je m’y suis mis grâce à mon père qui était batteur et jouait du blues quand j’étais petit. Je pense que c’est grâce à sa collection de disques, car par la suite j’ai écouté beaucoup de blues en grandissant, du r’n’b aussi, Etta James, Otis Redding, du jazz, Ella Fitzgerald. Ça s’est imposé à moi, j’y été déjà connecté.
Est-ce que tu as suivi des cours de chant ? Parce que tu atteins des notes très aiguës, c’est impressionnant !
Je crois que je suis juste chanceux d’avoir une grande amplitude vocale. Les notes aiguës que j’attrape sont en falsetto donc… J’ai une amplitude correcte. Et non je n’ai jamais suivi de cours classiques.
Et maintenant ?
Maintenant j’ai un entraînement pour ne pas abîmer ma voix, pour essayer de faire en sorte que je la conserve en fait. C’est beaucoup de techniques autour de la respiration.
Comment se passe l’écriture de tes chansons ? Par exemple j’ai l’impression que les rimes sont importantes pour toi non ?
C’est vrai, les textes sont essentiels à mes yeux, pour moi c’est le plus important dans les chansons. Les chansons se créent de manière différente, parfois je commence au piano ou à la guitare, ça dépend. Parfois ça part d’une phrase musicale et les paroles semblent s’emboîter parfaitement avec cette phrase, comme si aucune autre suite de mots n’allait fonctionner aussi bien. Parfois j’ai une envie soudaine, un éclair, et j’écris des paroles ou des idées dans un petit cahier que j’ai toujours sur moi, et plus tard elles s’adaptent à une mélodie. Parfois tu as 60 % de ta chanson d’écrite que tu sens bien, et tu te forces pour écrire le reste. C’est comme un scrapbook d’idées en fait. Je n’ai pas de méthode particulière qui dirait « c’est-comme-ca-que-j’écris-des-chansons », ça peut avancer très lentement. Les rimes sont importantes c’est vrai, mes plus grandes influences musicales étaient de très bons paroliers, comme Tom Waits, Leonard Cohen, Paul Simon. Je joue des rimes avec des idées pendant un certain temps jusqu’à ce que ça ait du sens, jusqu’à ce que la chanson soit aboutie. L’essence même de la chanson doit pouvoir être capturée dans une seule phrase.
Tu as mis du violoncelle sur ton album, pourquoi avoir choisi cet instrument et pas un autre ?
J’adore juste vraiment le son du violoncelle, comme je préfère l’alto au violon. Il y a quelque chose de sombre et de doux en même temps. On en trouve juste sur quelques chansons de l’album, c’est plus quand on joue à trois ou en petit comité. Le violoncelle peut être la meilleure manière de saisir des sons moyens à graves, pour combler cet espace, mais c’est surtout surement mon instrument préféré. C’est sans doute pour ça !
Et c’est toi qui écris les parties de violoncelle ?
Non pas sur des portées. Parfois je les programme en démo avec le son d’un faux violoncelle, ou alors quand on travaille en session avec un violoncelliste je lui chantonne une partie. C’est plus dur quand on travaille sur un album, on se dit « allez, on essaye ça », on le chante, on le joue, on tente des idées.
Es-tu conscient d’avoir une musique "engagée" ?
Je ne dirais pas que je suis engagé dans l’écriture de musique "activiste", je ne le ferai pas. Beaucoup de chansons sur l’album n’ont pas de point de vue activiste. Par contre j’ai une opinion très forte sur beaucoup de sujets qui doit se refléter dans ma musique, notamment sur « Take Me To Church » et d’autres chansons. Mais je me sens d’abord plus comme un musicien et un auteur-compositeur.
En fin de compte ce que j’essaye de faire, c’est renvoyer ce que je pense de la vie à notre époque en 2014. J’aime beaucoup les artistes qui l’ont fait consciemment, comme Stevie Wonder avec « Living for the City », Nina Simone avec « Mississippi Goddam » et « Wish I Knew How to Feel Free », ou « Strange Fruits », Paul Weller aussi le fait plus subtilement. Certains artistes parviennent à refléter la société dans leur musique, ou alors leur propre commentaire de cette société. J’adorerais que la musique ne fasse que ça, mais ce que je fais ne naît pas d’un activisme personnel.
Tu mélanges parfois le sexe et la religion, et même la Russie. Est-ce que tu le fais exprès pour provoquer ?
Provoquer qui ? Des Russes fous ? Je ne m’inquiète pas tant que ça. Bien sur le sexe et la religion… absolument ! Je suppose qu’en effet on a touché trois points sensibles dans un seul clip. Je n’ai jamais voulu énerver les gens avec cette vidéo, donc bien sur que je plaisante quand je dis que la vidéo signifie « fuck l’Eglise » et « fuck les Russes nazis ». Je ne veux pas attaquer les croyants, je visais plus les organisations qui discriminent les femmes, les homosexuels, mais pas que. Des organisations qui enseignent d’avoir honte de ce que l’on est, qui te disent comment aimer et qui aimer, et qui réussissent depuis bien trop longtemps. Donc c’est de ça que parle la vidéo, de ce qu’il se passe en Russie, d’un groupe qui mine l’humanité, du déni de ce peut être une personne, sa vraie nature. Mais je ne suis pas inquiet. Je n’ai pas encore reçu de critiques graves, autres que celles qui sont dans les commentaires YouTube d’adolescents chieurs.
Justement c’est ce dont je voulais te parler, des commentaires virulents en dessous de ta vidéo.
Je ne les ai pas vus depuis longtemps. Est-ce que ce sont vraiment des commentaires haineux ? [je lui explique un peu ce que j'ai pu lire]
Je pense que c’est bien que les gens en parlent, que les gens soient amenés à en parler. Après c’est nase quand ça devient de la haine gratuite. Mon frère me disait l’autre jour que lorsqu’un article parle de féminisme moderne, de la place des femmes en société, souvent à la fin de l’article il y a des commentaires odieux qui finalement justifient cet article, cela montre combien cet article avait besoin d’être écrit. Donc si ça pousse les gens à exprimer un sentiment de haine, cela montre bien que ça avait besoin d’être réalisé.
Je sais que les artistes n’aiment pas trop répondre à cette question, mais est-ce que tu as une chanson que tu préfères sur ton album ?
Il y en a une ou deux que j’aime bien, je suis sûr que ça va changer avec le temps, ce sont des chansons que j’aime pour des raisons différentes, pour leur structure, leur idée ou parce qu’elles sont géniales à jouer. Donc actuellement j’adore jouer « To Be Alone » et interpréter « Jackie and Wilson ». Mais je n’ai pas de préférée-préférée.
J’adore vraiment « Sedated ». Tu avais dit dans une interview que c’était une chanson qui parlait de s’échapper, de fuite. Est-ce que ça te concerne aussi, quitter l’Irlande etc. ?
Oui, enfin ce n’est pas vraiment s’échapper géographiquement, pour moi c’est plus se sortir des addictions. C’est une des plus vieilles chansons sur l’album, donc c’est dur de se souvenir quels sentiments étaient à l’origine de son écriture. S’échapper plus des choses qui marquent la vie quotidienne comme l’addiction aux drogues, à l’alcool, aux réseaux sociaux… pour expérimenter enfin ce que c’est de vivre vraiment sa vie. Une grande partie de notre existence est vouée à exhiber une vie qui n’est pas la notre, Facebook en est le parfait exemple, c’est juste une publicité de ce qu’on veut que notre vie soit réellement. Des petites choses comme ça. Donc je suppose qu’il n’y a pas de solution géographique pour régler ce genre de problèmes personnels. Mais sans doute que ça pousse les gens à partir !
Des chansons que tu n’arrêtes pas d’écouter en ce moment ?
Oui, tout le temps ! Je deviens très accro à certaines chansons. J’écoute beaucoup de vieux titres, mais quand je suis accro je les écoute en boucle pour comprendre ce que j’apprécie tant. En ce moment je n’arrête pas d’écouter Tinariwen un groupe malien de folk-blues, je crois qu’ils sont touaregs. Ce qui est fou chez eux c’est les paroles, ce qu’ils peuvent écrire. Ils ont des titres fabuleux fondés sur leur vie, marqués par la guerre civile, la rébellion, récupérer leurs terres… Je n’ai pas de connaissance de cette période mais leurs textes sont tellement éloignés de ce qu’on a en Occident, avec des mots magnifiques qui parlent de la vie dans le désert, ça me fait penser un peu à Junior Kimbrough.
Dernière question, un peu bête, tu n’es pas obligé d’y répondre. Est-ce que tu as un secret pour avoir de si beaux cheveux ?
Mes cheveux sont vraiment en désordre c’est pour ça que je les attache avec un élastique… (rires)
Parce que tes longs cheveux c’est quand même un signe distinctif non ?
(surpris) Je ne crois pas que ça me représente, mais c’est vrai que ça permet de me reconnaître. Mais ça n’a jamais été une décision commerciale en gros. Mes cheveux sont tellement en bordel, j’en ai trop, d’où l’élastique ! Donc la réponse est non, je n’ai pas de secret (rires).
Album "Hozier" dans les bacs le 6 octobre 2014.
Propos recueillis par Emma Shindo.