Entretien avec Alaxis Andreas G., fondateur du groupe Bruta Non Calculant
La dernière sortie du Syndicat Electronique remonte effectivement à 2005 ; ce fut la bande originale du film allemand d’Edwin Brienen Lebenspornografie sur mon label Invasion Planète Recordings fondé en 1998, dédié à la musique minimale électro-wave, synthétique et analogique (voir ici et là).
A cette période, un cycle s’achevait, je le pressentais… Et c’était en pleine gloire après sept années de bons et de loyaux services rendus à la musique d’avant-garde minimale ! C’était l’heure. On ne passe pas à côté des choses essentielles quand elles se présentent. J’entrai alors véritablement en « dissidence », c’est-à-dire en guerre… L’une de ces guerres, dont très peu peuvent parler, car très peu en reviennent ; une guerre mythologique, légendaire mais bien réelle ! La fin d’un « ancien temps », d’un « vieil Etat » s’annonçait. Comme les mots parlent pour ceux qui savent entendre ! Peut-être l’avais-je souhaité depuis fort longtemps, cette guerre. Guerre sainte, guerre intérieure, appelons ça comme on veut… un artiste se doit d’aller « là où ses pas le mènent », vérité de la Palice ? Non, bien plus ! Mystère Alchimique, pouvons-nous affirmer !
Je venais de faire, en 2004, un dernier concert sur l’île de Malte (voir), un Haut Lieu symbolique : là où se situe l’un des premiers sanctuaires religieux, encore intact, de l’Humanité, lieu de sacrifice lié à un culte solaire et à une Déesse de la fertilité. J’ai suivi la voie qui s’offrait alors. Je me suis sacrifié au « soleil et à la lune » comme dit La Tradition. C’était il y a dix ans…
De plus, la situation exotérique, c’est-à dire extérieure, en surface, dans le monde musical profane, commençait à me dégoûter, à juste titre : il y avait beaucoup d’imitateurs, et de nouveaux artistes surfant sur la vague électro, récupérant nos influences sans jamais nous mentionner. Nous avions laissé quelques traces en jouant au Sin Festival, à New York, à plusieurs reprises quelques années auparavant… De là est né, par exemple, et pour n’en citer qu’un seul, un mouvement nommé « électroclash » quelque temps après, d’où ont surgit bon nombre d’artistes ridicules dont les aspirations n’avaient rien à voir avec les nôtres ! De plus en plus de labels dans le monde virent le jour à cette époque ! Etaient-ils authentiques ? Ca c’est une autre histoire. On nous demandait conseil par e-mail ou par téléphone, puis après plus rien… Certains de ces labels sont actuellement connus. Je ne m’étendrais pas sur le sujet.
Cinq années de silence total, après ça, dans une retraite à l’écart de toute modernité, un monde austère mais volontaire et surtout nécessaire ! Un retour à une Nature vénérable et salvatrice, dangereuse et prophétique ! L’Etude s’est avérée nécessaire pour survivre « à la Chute initiatique ». Puis voyant la décadence du « monde électronique » et de ses pseudos-artistes, sur lequel je jetais parfois un œil léger mais attentif (oublie-t-on son premier amour ?) le besoin d’un retour se fit sentir : une reconquête encouragée par certains avec qui j’avais gardé contact… Non pas pour changer les choses et « sauver les ondes » mais pour ne pas avoir le sentiment d’abandonner un monde précieux à des gamins incultes et sans respect, compositeurs, par ailleurs, médiocres et opportunistes ! Mon retour fut discret, par le biais, d’abord, d’un petit label CD-R exclusivement Electro nommé Musamore et dont les pièces toutes épuisées maintenant, se vendent à prix fort (écouter ici, là et là).
Puis il y a eu mon label vinyle ultra privé, nommé Zu-sammen records où, à côté du son électro pur, j’ai développé petit à petit le son néofolk qui me tenait à cœur, par le biais du projet, devenu culte depuis, et dont une rétrospective a été signée aux Etats-Unis chez Brave Mysteries records ; Précurseur Grand Bois (écouter ici). Victor-Yann, mon frère, a rejoint l’aventure avec son projet nommé Age (écouter ici).
Plus tardivement, il y a eu le fameux Octroi records où j’ai signé des artistes tels que Nathaniel Robin Mann (écouter ici et là), Swesor Bhrater, autre projet de V-Y (voir ici et là), ou Agnes Beil ainsi que mes propres projets Shiny Black Mater (voir) et Précurseur Grand Bois (écouter là et là).
Bruta Non Calculant est la suite logique de tout cela : la résultante !
Quelle différence d’approche faites-vous entre ces deux projets et quelles en sont les permanences outre ce goût pour le minimalisme et cette personnification de l’anonymat ?
Ce sont les deux parties d’un ensemble cohérent qui ont pris forme dans un espace-temps donné : Le Syndicat Electronique est le guerrier d’avant-garde qui était nécessaire à la transmutation, un projet qui multipliait les quêtes et les blessures, à l’image d’un Jésus de la tradition chrétienne, d’un Job de la tradition hébraïque, d’un Mahomet de la tradition musulmane… et de tant d’autres ! Beaucoup d’erreurs, nécessaires, ont été commises ! Traversée d’un désert, mise en croix, recherche d’un point d’eau, etc. Toutes ces choses sont nécessaires pour la guérison de la Maladie, du mal à l’âme ! Pour cela il faut toujours un guerrier… et ne pas avoir peur de l’affrontement !
Bruta Non Calculant est tel un « Dragon-Maître » ; un pied sur terre, la tête au ciel… Il ne multiplie plus les quêtes, les aventures, mais est « En Quête », perpétuellement ! Pour ceux que les mots interrogent, la différence est énorme ! Le Tout, cohérent, est anonyme, bien évidemment, car c’est un projet artistique global, une œuvre qui transmute l’ouvrier et qui, en retour, est transmutée par lui. C’est la quête de chacun d’entre-nous, en vérité ! L’Art ne sert-il pas à montrer, à témoigner ? Telle est La tradition qui coule à travers la voie exemplaire de chacun, éclairé, à son niveau, par sa propre conscience, et qui se donne au monde ! C’est cela le sens des mots christiques de la Cène « Buvez, ceci est mon sang, mangez, ceci est mon corps » … Nous devons nous consommer en conscience ! Que de travail !
Le Syndicat Electronique procédait d’une sorte d’avant-garde électro-analogique. Le folk industriel de Bruta Non Calculant semble lui résolument tourné vers le passé. Rien que le nom choisi est significatif. Pouvez-vous expliquer quelle la vision dépeinte par Bruta Non Calculant ? Est-ce une réaction au monde contemporain ?
« V.I.T.R.I.O.L. : vitriol visita interiora terrae rectificando invenies occultum lapidem. Visite la Terre intérieure et en la rectifiant tu trouveras la pierre cachée. »
Le monde contemporain n’est pas à combattre puisqu’il n’existe pas vraiment… Il est ce que nous en faisons. C’est d’un retour à une Mémoire dont il s’agit ici ! Mimir (la racine de ce mot ancien a donné Mémoire), c’est le nom de la Source ou buvaient les Anciens Nordiques. C’est cela l’authentique « Devoir de Mémoire », le retour à cette Source « Éternelle de Jeunesse » !
Et non un attachement éternel à un événement historique qui enchaîne à la culpabilité dominatrice infranchissable, quand on se laisse avoir par un « Dieu des lois » obsolète, vieux de 4000 ans. Nous sommes désormais englués dans un historique et des structures sociétales désuètes importés de l’hémisphère Sud de la planète par l’impérialisme romain. Tout ceci ne concerne nullement les peuples de l’hémisphère Nord qui ont toujours eu leurs propres codes, leur culture authentique… et qui vivaient en Paix ! Dieu est A-mour, a-t-il pourtant été dit, entre temps, il y a 2000 ans ! « Amour » que ce mot est galvaudé ! Cela signifie, en vérité, a-privatif de-mort : privé de mort, donc ! La mort est l’aveuglement, l’inconscience. Dieu est A-mour revient donc à dire Dieu est privé de mort : « Dieu est Vivant », ainsi se comprennent les paroles du Christ lorsqu’il dit : « Avant Moïse, JE SUIS » !
Bruta Non Calculant n’est pas ré-actif, c’est un projet actif s’inscrivant dans un contexte donné… Et avant Moïse ou Jésus… Nous Sommes !
World in a Tear semble donner le ton à l’album du même nom paru l’année passée sur Cititrax. Quelle est son histoire ?
Comme je l’ai dit, le projet Bruta Non Calculant débuta en 2006, avec l’arrivée progressive de mon frère Victor-Yann, lequel avait déjà travaillé avec moi, pour notamment le morceau Pretty Girl une reprise du titre du groupe hollandais des années 80 The Actor, que nous avons rencontré à l’occasion d’une soirée Enfant Terrible (lire) sur leur terre d’origine. Ce petit titre minimal montrait déjà clairement notre intérêt pour le blues ou le folk (écouter). Victor-Yann a participé aussi au projet ésotérique folk Iosophis sorti sur CD en 2 chapitres sur le label Totsoluna (ici et là).
Nous avons enregistré des morceaux en live, selon les principes « antiques », pourrait-on dire, de la musique minimale des premiers jours ! L’enregistreur tourne, il n’y a plus qu’a couper certains passages à la fin, et parfois à recomposer… C’est comme cela que procédait Pierre Henry ou Kraftwerk, pour ne citer qu’eux. L’album World in a Tear, dont le titre est initialement Alexandria (écouter) a vu le jour, une fois que nous avons eu le sentiment d’avoir recueilli assez de morceaux susceptibles de composer une oeuvre à part entière. Notre manière de travailler est cohérente et les morceaux, malgré des espaces-temps de création différents, se suivent et se répondent, comme pour nous raconter une histoire universelle.
S’agissant de cet album encore, pouvez-vous donner quelques indications pour expliquer la pochette du disque, sorte de nature morte pour le moins mystérieuse?
La pochette est une création originale, pour l’occasion, de l’artiste designer américain Peter Miles. Elle traduit ces rets, ces limitations vers lesquels le vent nous porte. Nous sommes alors prisonniers des grilles de notre propre conscience qui nous consume, nous dessèche, tels ces bouts de bois morts, qui ne touchent plus terre.
Quelle est votre approche de l’enregistrement ? Est-ce une expérience pour vous qui laisse la place à de l’improvisation ?
Définitivement, oui ! Comme je l’ai déjà dit plus haut ; pour la plupart des morceaux nous enregistrons live, en laissant tourner l’enregistreur qui est, en l’occurrence, un vieil ordi qui tourne… avec le logiciel soundforge ! Pour ma part, le souffle des machines ne m’a jamais gêné ! Il est la vie même du morceaux, peut-être même une base essentielle ! Un bruit de fond d’où émanent toutes harmonies ! Notre musique est faite « au doigt », il n’y a aucun système midi ! Par contre, une fois le plus gros fait, nous retouchons quelques trucs quand cela est nécessaire. Les voix sont en une seule prise, dans la plupart des cas. Nous enregistrons à des moments précis de l’année. Des moments sacrés. Nous utilisons une sorte de calendrier.
Ce travail nous l’avions déjà bien développé avec le projet Iosophis, où nous enregistrions dans des lieux sacrés, chapelles, églises, nature, avec un enregistreur portable, à l’exemple de ce morceau (écouter), où rien n’est trafiqué (nous étions dans les bois, Victor-Yann était assis avec son accordéon sur un rocher surplombant une rivière, et je me suis rapproché de lui en marchant dans les fougères sèches, voilà).
Dans un même ordre d’idées, quelle expérience faites-vous du live ? Pourquoi jouer vêtu d’un costume de chaman ?
Le live est une cérémonie. Je l’ai toujours envisagé comme ça. Que cette cérémonie soit violente ou non, elle doit mener à une catharsis. Seule là est la fonction de la musique pour l’âme humaine (sinon, cela reste du loisir, un passe-temps, une mode…). Voici quelques exemples ici, là ou là de live du Syndicat Electronique ou de La Séduction des Innocents. Le costume que je porte affirme une indépendance sur les trois niveaux : corporel (mon identité) , émotionnel (mon monde), spirituel (mon éthique). Les vêtements militaires du Syndicat Electronique affirmait sa dissidence latente, une « défense d’un Patrimoine » au sens pur du terme… Patrimoine intérieur, j’entend bien : Une Terre à sauver !
Le Chaman est le guide, qui vit entre deux mondes. Celui des morts et celui du Vivant… Ce costume me fut fabriqué par quelqu’un qui vit au pied de la Grande Vierge du Puy-en-Velay, point de départ des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle (chemin que j’ai accompli en 2005, justement)…
Vous avez collaboré par le passé avec In Aeternam Vale. De telles collaborations sont-elles encore envisageables ?
Je n’ai pas seulement « collaboré » avec In Aeternam Vale… Le terme est faible ! J’ai fait découvrir ce groupe indépendant, précurseur des années 80, aux nouvelles générations, ni plus, ni moins, puisque je suis celui qui est allé, à l’époque, chez lui, à Lyon ouvrir avec mon ami Max Lachaud, essayiste et écrivain qui est celui qui m’avait parlé, en tout premier lieu, de ces sons merveilleux de vieilles boites à chaussures remplies de bandes magnétiques originales ! Personne avant ce jour, n’avait entendu parlé du projet de Laurent Prot. Depuis, il a fait du chemin, et c’est bien pour lui ! C’est quelqu’un de généreux. Mais je ne pense pas que nous puissions actuellement collaborer ensemble. Le split de l’époque Invasion Planète Records était vraiment mon coup de cœur pour cet artiste. Et cela l’a fait connaitre dans le monde entier ! Minimal Wave a pris le relais. Tout est accompli (écouter ici, là et là).
Pouvez-vous nous parler de San France Disko ?
S.F.D. est mon label actuel. San France Disko est le lieu de la Grande Faille, du « Tout Possible », là d’où surgissent les mouvements telluriques cycliques, inconscients ; forces du changement des apparences et de l’illusoire. Forge de destruction et de Creation. S.F.D. est un lieu mystique de Transmutation, un creuset alchimique où s’accomplit l’Oeuvre soumis au « Feu des Quatre Temps »… Chacun mettra dans ces mots ce qu’il a à y mettre. Je produis une partie de ma musique et de mes expérimentations mais aussi des artistes qui me touchent et qui participent de la même Aventure, par le même état d’Esprit : Swesor Brhater (écouter ici, là et là), Ashuburn County (écouter ici, là et là) et Agnès Beil (écouter ici et là).
San France Disko, c’est aussi le lieu où j’expose mes différents travaux dans le domaine alchimique et artistique ou des coopérations avec des artistes contemporains, tel que récemment, avec Aurélie Dubois qui m’a demandé de faire la bande-son de son court-métrage The Corridors (voir).
Je mène un projet parallèle Solo qui se nomme RU, ou je donne des conférences, des performances…
Quel est le futur proche de Bruta Non Calculant ?
Nous venons de sortir notre second album La Que Sabe sur le label indépendant allemand Treue Um Treue (extraits ici, là et là), maison-mère du projet Wermut, que j’ai signé, à l’époque, sur Invasion Planète Recordings. Ce sont des amis en qui j’ai une parfaite confiance. Ils me connaissent depuis si longtemps et nous avons les mêmes centres d’intérêt. Un troisième album est en préparation, mais nous n’avons pas de date de sortie, ni de label déterminé. Nous choisirons une fois l’œuvre au point. Nous préparons une tournée qui devrait se passer en Allemagne et en Autriche… Mais n’oublions pas que le futur n’est « qu’à venir », accueillons le dés à présent !