Quel calvaire, que ce 15 août à Quillacollo ! Nous sommes en bas et il faut se frayer un passage à travers toute cette foule, jouer des coudes, pour grimper jusqu'au sommet et assister à la messe. Pendant l'office, le groupe Aysana chante la Misa Criolla et nous sommes aux premières loges. L'ambiance est hystérique. On se croit dans un concert de rock. Ovation pour Jésus. Ovation pour le Saint Esprit. Des pèlerins venus du monde entier viennent pleurer devant la Vierge. Cela tourne au fanatisme.
Soudain, monseigneur Tito Solari lève sa grande silhouette fatiguée et harangue la foule : "Vous, les commerçants, vous devez partir ! Ici, c'est un lieu de prière, c'est un moment de recueillement catholique !" Jésus chassant les marchands du temple. Il s'y est cru, Tito ! Il reprend :
"Il y a des gens ici qui font la q'oa (la cérémonie d'offrande à la Pachamama, voir dans mes articles qui parlent du sujet) ! Il faut arrêter avec les pétards ! ça suffit ! Nous ne voulons pas de la q'oa ici ! Ici, c'est un sanctuaire catholique !"
"Maman, pourquoi le monsieur dit qu'il ne faut pas faire la q'oa ? Parce que nous, on la fait ! Pourquoi il dit que c'est pas bien ?
- Ecoute, nous, on est juste venues accompagner les musiciens, alors on va se faire discrètes, hein..."
Tolérance zéro pour les religions ancestrales, qui, pourtant, occupaient le terrain depuis bien plus longtemps que Solari et sa clique. Urkupiña, c'était depuis des temps ancestraux un lieu de vénération de la Pachamama, la terre mère. Ensuite, soit-disant, la Vierge Marie est apparue à une bergère (comme souvent). Et la folie a commencé. Aujourd'hui, c'est une guerre de territoire entre la religion catholique qui perd des fidèles et les religions andines qui connaissent un renouveau sans précédent. Opprimées pendant des siècles, elles refont surface et s'affirment en plein jour.L'institution catholique, quant à elle, est toujours dans la même problématique de tentative vaine de conversion des âmes indigènes. L'évangélisation, encore au XXIème siècle et peut-être plus que jamais, est un échec. La religion catholique en tant qu'institution est en crise. Il faut dire que dans un monde économiquement en ruines, l'étalage de richesses, les étoles brodées de fils d'or ne séduisent plus. Les fidèles adorent la Vierge, mais rares sont ceux qui s'agenouillent encore devant les prélats pour leur baiser leur main blanche couverte de bijoux. Certes, on vient à Urkupiña pour prier la "mamita", mais également pour honorer la Pachamama. Tito Solari a beau se prendre pour Jésus, l'époque des gourous est révolue.