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Sils Maria (avec une parenthèse Breaking Bad dedans)

Publié le 25 août 2014 par Picotcamille @PicotCamille

La rentrée s'annonce, la moitié de mon lit est recouverte de pièces de théâtre et j'ai entouré le 3 septembre en rouge sur mon calendrier. Quand mon Best Friend Forever me propose d'aller voir Sils Maria d'Olivier Assayas, un film sur une actrice, je cours, je vole!

Maria Enders (Juliette Binoche) est une actrice au sommet de sa carrière, la quarantaine, elle croule sous les propositions. Propositions que son assistante Valentine (Kristen Stewart) est chargée de négocier, refuser et organiser. Suite à la mort du dramaturge qui lui a donné son premier grand rôle, Maria accepte de jouer dans la pièce qui l'a révélé. La confrontation de deux femmes, une jeune de 18 ans et une de 40 ans. La plus jeune, Sigrid, va séduire Helena, la plus âgée et l'amener petit a petit à l'anéantissement et au suicide présumé. Maria jouait Sigrid et va devoir jouer Helena.

Commence alors le processus de création. Maria doit devenir Helena, la créant à la base de sa sensibilité à elle et de l'histoire du personnage. Ce qui est difficile car elle a été Sigrid, et qu'elle a profondément détesté Helena. Sa mémoire n'assimile le personnage qu'à celui de l'autre actrice, celle de la première version. J'en ai déjà parlé sur ce blog je crois, sur la création du personnage. Surtout sur un personnage qu'à la base on n'aime pas, parce que négatif. Comment on viens à se l'approprier en lui créant une histoire, un lui donnant des chansons à écouter. Comment un personnage qui est complètement différent de vous prend vie. J'adore cette partie du travail d'acteur, cet apprivoisement.

J'ai bien aimé ce film, sans pour autant partir dans un engouement total. J'ai aimé le fait qu'Olivier Assayas esquisse des idées qui pourraient devenir chacune le sujet principal (mais déjà vu) du film. Par exemple, et malgré ce que laisse penser la bande-annonce, la relation de Valentine et Maria n'est pas aussi charnelle. {C'est là qu'on remarque qu'avec le montage on peut dire n'importe quoi} Ça aurait pu. Mais non. Et en même temps une relation qui mêle personnel et professionnel et qui dérape, on a déjà vu. Je vous laisse jeter un coup d'œil à All about Eve de Joseph L. Mankiewicz, même Opening Night de John Cassavetes me semble traiter du sujet, et je suis sure qu'il y en a d'autres. Tous Sils Maria est construit comme ça. Comme un arbre avec de multiples embranchements. On voit Maria avaler des pilules à l'arrière d'une voiture durant un trajet, qu'est ce que c'est? Simples vitamines ou xanax? Mais c'est tout ce qu'on voit. Et moi je trouve ça chouette. Parce que ça me pose pleins de questions! Et un film qui me pose pleins de questions n'est jamais complètement mauvais.

Copyright : © Carole Bethuel

Tout ce film est une ode à l'ouverture d'esprit. A l'image du personnage de Valentine. Elle se confronte sans cesse à Maria, cherchant à démolir les barrières entre la haute culture, la grande, la belle et la basse culture, populaire et idiote. Car où Maria affirme ses idées sans voir plus loin, Valentine se questionne sans cesse. C'est une démarche que j'aime particulièrement dans la vie. Ne pas savoir, assumer de ne pas savoir, de ne pas avoir la "bonne réponse" mais se questionner et chercher, avec l'humilité de ne pas être sûr. Parce que de toutes façon il y a rarement une "bonne réponse" seule et unique. Je trouve qu'à l'heure actuelle, c'est quelque chose qu'on ne voit pas beaucoup. Dans les films et les séries. C'est plutôt le contraire, on cherche à avoir raison, à être le plus fort, le meilleur.

Je fais une petite parenthèse.

(J'ai regardé la première saison de Breaking Bad il n'y a pas longtemps. Porté par le côté "trop bien" que soulignait mes amis. Et je n'ai pas accroché. Pas détestée pour autant, mais je n'ai pas eu l'intérêt que j'ai eu pour d'autres premières saisons qui étaient sûrement moins bien filmées, écrites et jouées. La preuve, j'ai mis un temps fou à les regarder et sans grand entrain. Et je pense qu'il y a cette question d'humilité qui est sur le tapis. Le message est quelque part; "Vous êtes vieux, ringard, prof de chimie avec un cancer? Ok, mais tu peux devenir un putain de bad boy!" Je crois que c'est que qui ne m'a pas accroché. On m'a vendu le mec lambda dans la merde (financière, sociale et médicale) qui s'en sort par la porte "drogue", mais sans qu'il se pose la moindre question. J'ai l'impression qu'il fait et que c'est une fois que la situation est vraiment problématique qu'il réfléchit. Et puis comme dit mon frère "C'est pleins d'incohérence." Par exemple: action minime dans la saison 1, il y a un connard de mec en surestime de lui même que le personnage principal croise une première fois. Le connard agit comme un connard avec tout le monde, bref. Quand le personnage principal le recroise à une station service, pris d'un excès d'héroïsme il lui flingue sa voiture à coup de raclette à vitres placée malicieusement dans le moteur. Je suis certaine qu'il y a des caméras de sécurité qui scrutent les pompes à essences aux Etats-Unis, qu'il y a au moins un vendeur qui n'avait rien à faire pour voir ce qui se passait, une autopsie de la voiture chez le mécanicien, bref un truc pour savoir que c'est intentionnel. Et qu'en temps normal vous auriez les flics chez vous le lendemain matin. Et ça c'est, très cher lecteur, ce qui m'énerve, croire qu'on est dans le bien, agir en dehors des lois, parce qu'on a raison, qu'on est le plus fort et le meilleurs. J'appelle ça un manque d'humilité de la part du personnage. Et autant je trouve ça drôle chez les super héros et les powers rangers, parce que délibérément fictif, autant dans la réalité réel je trouve ça fatiguant. En plus on en vois partout. Les politiques, les sportifs, les célébrités, j'ai même des amis qui sont dans ce trip "être le plus fort, je campe mes positions même si j'ai tort". Merde, les gars on a plus 8 ans.)

Fin de la parenthèse.

Donc pour en revenir à nos moutons, et donné une conclusion de cette grosse partie un peu foutraque, j'ai beaucoup aimé cette capacité à ne pas porter de jugement, à se dire qu'on ne sait pas qui émane du personnage de Kristen mais aussi du film en lui même. Même juste la façon dont s'habille Valentine, ses cheveux, ses lunettes, je suis fan. C'est un style de personnage qu'on ne voit que trop peu. Elle n'est ni forte, ni faible, ni stupide, ni intello. Au final ça pourrait être quelqu'un qu'on connaît avec ses mauvais côtés, ses faiblesses et atouts. C'est un vrai beau personnage. Qui fonctionne très bien avec celui de Maria. J'ai moins accroché à ce personnage, trop diva pour qu'elle me touche, mais qui est un vrai beau rôle. Certes peut-être plus "vu" pour le côté artiste ultra-sensible fragile et puissante mais qui convient parfaitement au talent de Juliette Binoche.

Copyright : © Carole Bethuel

Un autre aspect intéressant du film ce sont les interactions que les personnages ont entre eux. Maria passe son temps à "googleiser" les gens qu'elle ne connait pas. Le personnage de Jo- Ann Ellis, la jeune actrice qui reprend le rôle de Sybil, est intéressant pour ça. Toute la première partie du film nous ne la voyons que par Google, on nous montre une ado trash, un modèle bien connu des tabloïds. Quand elle apparaît c'est une toute autre personne. De même que beaucoup de personnages n'existent que par l'intermédiaires d'écrans ou de paroles rapportées. Ça donne à réflechir sur notre relation à Google, aux qu'en-diras-t-on, etc sans pour autant cataloguer en se drapant dans la soie de la morale.

Olivier Assayas manie extrêmement bien les atmosphères, les lumières tamisés et les couleurs sombres des évènements dit professionnels aux lumières cru et aux couleurs vives des instants personnels. C'est d'autant plus intéressant, qu'il reprend les codes d'un cinéma chic, où Binoche est une reine, en y introduisant une libératrice d'un cinéma pop dont Stewart porte malgré elle les armes. Ce qui rajoute une énième couche de lecture dans le mille-feuilles des interprétations que nous propose le film. Celui de notre réalité à nous, avec le choix des interprètes.

Sils Maria est un beau film, parce qu'il joue avec la notion de réalité, des relations jouées et réelles, du story telling et de ce qu'on est vraiment, de ce qu'on pense et de ce qu'on doit dire. Le tout sans pour autant nous indiquer un sens de lecture, un jugement. Il y a un profond respect des personnages. Après il y a peut-être un petit goût d'inachevé. Surtout pour Jo-Ann. On a l'impression qu'on lui a enlevé une scène. En fait, comme dit plus haut, je me pose des questions. Sans savoir si c'est bien ou mal. J'aurai aimé qu'on la définisse mieux et en même temps je trouve ça intéressant qu'elle soit insondable. Parce qu'au final, ce n'est pas une amie, c'est une collègue de travail avec tous les enjeux que cela représentent. En tout cas, pour l'actrice que je suis, ce film est magnifique et il ne manquait pas grand chose pour qu'il devienne un Flash Love. Quoi? Je ne sais pas.


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