LE SONNET D’ARVERS : VERSION ORIGINALE
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.
Hélas ! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, et pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, et sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas ;
À l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas. »
****
Ce sonnet a suscité de nombreuses parodies depuis sa création et jusqu’à nos jours. En voici quelques unes :
SUR LE SONNET INTITULÉ "TOMBEAU", DE MONSIEUR STÉPHANE MALLARMÉ
Sa vie a son secret, sa plume a son mystère :
Un sonnet sibyllin en un moment conçu.
N’en cherchez point le sens, lecteurs, sachez vous taire,
Car celui qui l’a fait n’en a jamais rien su.
Hélas! il eût passé de vous inaperçu.
Toujours à vos côté et pourtant solitaire,
Si Sergines n’était sur cette pauvre terre
Pour demander encore après avoir reçu.
Aussi, quoique l’auteur l’ait fait subtil et tendre,
Il ira son chemin, tranquille, sans entendre
Le murmure d’Oedipe élevé sur ses pas ;
Tandis que curieux et fidèle et profane
Diront, lisant les vers du poète Stéphane :
« Quelle est donc cette énigme ? »—et ne comprendront pas.
Francis de Champflorin. 1897
****
LE SONNET DU SONNET D’ARVERS
Le sonnet de Félix Arvers a son mystère.
Les uns le trouvent bien, les autres mal conçu.
Je suis de ces derniers et ne saurais m’en taire,
Car ce fameux sonnet n’est pas d’un métier su.
Il aurait pu passer cent fois inaperçu
Dans un tas de sonnets, mais il est solitaire.
C’est ainsi qu’il a fait tant de potin sur terre,
Et que par les badauds il fut si bien reçu.
Certes, on y voit des mieux à quoi l’auteur veut tendre :
D’une il est amoureux qui ne veut pas entendre,
Et dans son désespoir on le suit pas à pas.
Mais le poète doit toujours rester fidèle
A la règle. Ainsi donc puisque Arvers fait fi d’elle,
Son sonnet en tant que sonnet n’existe pas.
Raoul Ponchon. le Courrier Français, 1904
****
Et voici une parodie écrite par un soldat pendant la guerre des tranchées en 1916 :
Ma cave a son secret, ma cagna son mystère,
Magnifique gourbi par un poilu conçu.
Dans quel département? Hélas! je dois le taire,
Personne, à la maison, n’en a jamais rien su.
Aussi j’ai pu loger longtemps inaperçu,
Errer dans les boyaux comme un ver solitaire;
Et j’aurai disparu près d’un an sous la terre,
Attendant un colis que je n’ai pas reçu…
Parfois, la nuit, je vais, faisant un rêve tendre.
Regardant une étoile au ciel et sans entendre
Un ronflement sonore élevé sous mes pas..,
A son petit café pieusement fidèle
L’embusqué, dégustant son bock tout rempli d’ale
Dira : « Quelle existence ! » et ne comprendra pas.
Anomyme. Paru dans « Le Bleutinet », journal de poilus. 1916
Pour écrire cet article je me suis inspirée de cette très intéressante page Internet, que je vous invite vivement à visiter, et sur laquelle vous trouverez un grand nombre d’autres parodies du sonnet d’Arvers, certaines amusantes, voire coquines, d’autres beaucoup plus sérieuses :
http://parismyope.blogspot.fr/2011/04/le-sonnet-darvers.html