Le philosophe et la courtisane

Publié le 24 août 2014 par Aris - Blognote @_a_r_i_s

Cet étrange et magnifique objet est un aquamanile, un récipient destiné au lavage des mains, aussi bien dans la vie courante, qu’à l’occasion de pratiques liturgiques… Celui-ci, particulièrement étonnant, représente le philosophe Aristote (Ἀριστοτέλης) avec la belle Phyllis (Φυλλίς) assise sur son dos, le tenant par les cheveux, et lui flattant la croupe. Ou peut être qu’elle lui donne la fessée, qui sait.

Exposée au Metropolitan Museum of Art, dans la galerie 958, cette pièce en bronze (de 32.5 cm de haut), provient à la collection Robert Lehman (1975), et date de la fin du 14e ou tout début du 15e siècle. Elle est l’œuvre d’un artiste inconnu, et à été retrouvée en Hollande. Nous n’en sauront pas plus.

Le Metropolitan Museum of Art possède, dit-on, une des plus belles collection d’aquamailes, une quarantaine de pièces, toutes plus surprenantes les unes que les autres. Cette collection peut être consultée en ligne sur le site du musée, chaque item étant agrémenté de photos et de quelques explications sommaires.

On lira aussi avec grand intérêt l’article “Medieval Aquamanilia”, par Peter Barnet, pour tout savoir sur les usages médiévaux de ce petit ustensile, plus domestique et décoratif que liturgique, et souvent si richement décoré pour faire honneur aux maisons de maîtres et aux banquets qui s’y tenaient.

Reste une question : que faisait donc Aristote sous Phyllis ?

Cette scène épique renvoie en fait à une légende, connue sous l’appellation « Le Lai d’Aristote » (le lai est un petit poème narratif). Le philosophe, dit-on, reprochait à son élève Alexandre le Grand de délaisser ses obligations de monarque pour l’amour d’une courtisane du nom de Phyllis. Agacée, celle-ci décide de se venger en séduisant le viel homme, se promettant à lui s’il se laissait chevaucher par elle. Il céda. Forte de son succès, Phyllis court alors prévenir Alexandre, son complice, en chantant un lai d’amour. Ce dernier ne manquera pas de se moquer de son maître…

Le pouvoir de la femme sur l’homme, fusse-t-il le plus grand des savants, sera ainsi représenté durant des siècles dans cette scène d’Aristote et Phyllis. On la retrouve par exemple dans ce dessin satirique renaissance du peintre Allemand Hans Baldung exposé au musée du Louvre à Paris.

Il existe d’autre part un autre aquamanile, datant de la première moitié du 15e siècle, exposé au musée du Parc du Cinquantenaire à Bruxelles, mais d’une bien moins belle facture que celui du Metropolitan Museum of Art.

Enfin, ce rattache aussi à cette histoire l’expression quelque peu familière « faire le cheval d’Aristote », usitée semble-t-il dans certains jeux de société pour désigner un gage qui consiste à prendre la posture d’un cheval, afin de recevoir sur son dos une dame que l’on doit promener dans un cercle où elle est embrassée tour à tour par chaque joueur.