PRO et ANTI-VACCINS, LE DEBAT IMMOBILE

Publié le 22 août 2014 par Dominique Le Houézec

LE DEBAT DES "PRO" ET "ANTI" VACCINAUX


Entre la stupidité béate des "pro" et l’imbécillité renfrognée des "anti", je crois que si j’étais obligé de choisir, je choisirais d’être heureux avec les "pro"vaccins. Heureux de disposer d’une solution simple à tous les  problèmes passés, présents et à venir: vacciner,vacciner tous et le  plus tôt possible.





J’ai souvent lu les argumentations des uns et des autres en me disant: "C’est pas possible, ils sont idiots. Oui mais c’est pas possible d’être aussi idiots, ils sont malhonnêtes". Et j’ai souvent essayé de mesurer les pourcentages de bêtise et de malhonnêteté sans jamais être sûr de mon diagnostic.
La linguiste Marianne Doury dans son livre "Le débat immobile: l’argumentation dans le débat médiatique sur les parasciences » (Editions Kimé 1997), montre  bien comment le débat tourne en rond, comment on n’avance pas ou comment on s’y prend pour ne pas avancer. Mais si son travail de linguiste est essentiel pour comprendre comment fonctionnent les bêtises complémentaires ou la stupidité en tant que système, elle ne permet pas de comprendre le pourquoi de cette bêtise.
Tout récemment, j’ai eu la chance d’assister à un échange entre un auteur de science-fiction (Que je nommerai ASF) et un psychanalyste (Qui se nommera PSY) qui parlaient de la grippe H1N1, échange qu’il me semble utile de rapporter car il me semble éclairant.

- ASF (l’auteur de science-fiction): "Je crois qu’il ne pourrait y avoir d’accord que si toute la planète était menacée par une maladie qui atteindrait tout le monde et qui tuerait tout le monde. Il faudrait bien sûr en plus que tout le monde soit conscient de ce danger. Alors dans ce cas, s’il existe un vaccin, s’il est efficace et sans danger, tout le monde serait demandeur de ce vaccin."
- PSY (le psychanalyste): "Dans l’hypothèse que vous  proposez, il me semble que la question fondamentale n’est pas celle du risque réel mais celle du risque perçu, du risque anticipé et imaginé. De même l’efficacité et l’innocuité du vaccin sont des éléments importants, mais ce qui est tout aussi important et probablement plus important, c'est l’idée que l’on se fait de l’efficacité et de l’innocuité."
- ASF: "Vous avez raison. Ce n’est pas le réel qui importe ni la fréquence réelle et la gravité réelle de la maladie, ni non plus la réalité de l’efficacité et de l’innocuité du vaccin, mais les représentations de ces éléments et les discours qui sont tenus à leur propos."
- PSY: "Je voudrais revenir sur votre hypothèse de départ. Vous parliez d’une maladie qui atteindrait tout le monde et qui tuerait tout le  monde. Mais aujourd’hui tout le monde s’accorde à penser que la grippe ne tuera pas tout le monde. On peut être très pessimiste et penser qu’elle tuera beaucoup de monde. On peut être optimiste et penser qu’elle en tuera beaucoup moins. Mais personne de sensé ne peut défendre l’idée qu’elle tuera tout le monde."
- ASF: "J’accepte volontiers votre objection si quelqu’un disait "cette  maladie  nous tuera tous" ou bien "sa prévision est exacte" et plus  personne, pas même lui, ne sera là pour le vérifier, ou bien encore "il y aura des survivants" qui tous auront été témoins de la fausseté de cette affirmation."
Une prédication pessimiste ne peut fonctionner que si elle n’est pas trop pessimiste. Il y a un pessimisme excessif qui disqualifie.
- PSY: "Oui il me semble qu’il faut essayer de réfléchir au pessimisme « raisonné » ou à l’optimisme "raisonné", mais le rôle des pouvoirs publics me semble important à analyser, car il occupe une place très importante."
Si une maladie est très fréquente et très  grave, et s’il existe un vaccin très efficace et sans danger, tout le  monde ou  tous les gens sensés seraient d’accord pour considérer qu’il faut vacciner. Les pouvoirs publics décideraient de vacciner et seraient approuvés par tous.

Si une maladie est rare et peu grave, et s’il n’existe qu’un vaccin peu efficace et dangereux, personne ne proposerait son emploi.
Il y a donc dans ces deux situations extrêmes un consensus et le rôle des pouvoirs publics est facile.
En revanche, quand on s’éloigne de ces extrêmes les pouvoirs publics ont à arbitrer d’une façon telle qu’ils ne peuvent qu’être critiqués violemment par les uns et approuvés mollement par les autres.

-ASF: "Nous avons cela en commun avec les gouvernants, nous auteurs de science-fiction, nous aimons les situations caricaturales. Nous sommes à l’aise lorsque le vaccin est massivement, évidemment totalement bon et nous sommes à l’aise aussi lorsqu’il est massivement évidemment et totalement mauvais."
Je laisserai le romancier et le psychanalyste poursuivre leur échange, mais j’aimerais souligner quelques points.
1. Quand une épidémie menace et lorsque l’on se situe avant la diffusion de la maladie et avant l’utilisation du vaccin, on se situe, non pas dans le réel ni même dans la représentation du réel, mais dans une représentation surjouée, instrumentalisée.
Tout le monde sait que le débat ne sera pas rationnel et organisé, mais que ce sera une foire d’empoigne et chacun pense que puisque "les autres" s’autoriseront tous les coups, il n’y a aucune raison soi-même de se priver. Les "autres" vont mentir, exagérer, ne parler que de ce qui les arrange, je suis donc autorisé à mentir, exagérer...
2. Un vaccin peut être très utile et éviter de nombreuses morts, mais entraîner quelques accidents mortels. Il peut par exemple éviter 40.000 morts du fait de la maladie, mais être directement responsable de 200 morts. Les pouvoirs politiques qui auraient pris une décision aboutissant à 40.000 morts de moins du fait de la maladie, mais à 200 morts du fait du vaccin, auraient pris une décision globalement bonne pour la collectivité puisqu’elle aboutit à 39 800 morts de moins. Mais même dans cette hypothèse, les 200 morts seront 200 morts de trop, 200 morts difficiles à faire accepter à l’heure du bilan. Et surtout 200 morts dont on connaît le nom et l’histoire. On sait que dans la population, 40.000 personnes ont été sauvées mais on ne sait pas lesquels, on sait que 200 personnes ont été tuées et on sait lesquelles.
Il y a donc une extraordinaire asymétrie entre la reconnaissance que peuvent avoir les 40.000 "sauvés", reconnaissance molle, diffuse, incertaine et le sentiment d’injustice, d’intolérable émanant des familles des "tués".
Les pouvoirs publics ne peuvent faire accepter leur action que s’ils nient le risque de  morts ou  s’ils le minimisent considérablement.
La gestion rationnelle de ces questions difficiles de santé publique n’est pas valorisante. Il y a peu de remerciements à attendre et beaucoup de reproches à entendre.
Est-ce pour cela que l’action et les discours en santé publique sont si peu convaincus et si peu convaincants ?

Jean-Pierre LELLOUCHE