Libéralisation du marché du gaz: La bataille continue

Publié le 21 mai 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

Décryptage Relatio par Jacques DEHAIRE
La bataille du gaz n’est pas terminée. Ainsi que Relatio le développait dès la semaine dernière, la commission industrie du Parlement européen a examiné à Strasbourg un rapport qui préconisait, au nom de l’intérêt des consommateurs, une libéralisation de ce marché sans tenir compte des aspects stratégiques du gaz. Rien de décisif n’a été décidé à l’issue d’un débat plutôt houleux, complexe et technique.

La recherche d’un compromis va se poursuivre. Laborieusement. Avec une question qui, pour l’heure n’est guère posée publiquement, mais qui ne doit pas être esquivée : quelles sont les motivations réelles de ces réformes envisagées du gaz, les intérêts des consommateurs ou des options idéologiques ?
Cette question à elle seule montre que nous ne sommes pas avec ce type de problème uniquement dans le cadre d’une politique "industrielle". Le gaz, comme toutes les matières premières et les sources d’énergie sont des denrées stratégiques, qui touchent de près à la sécurité collective et individuelle des Européens. Les Russes, notamment, suivent ces débats de près. Ils y prêtent même une attention plus grande que bien des observateurs et des acteurs de la vie de l’Union.
À l’origine, la proposition de la Commission de Bruxelles aurait donné aux Etats membres la possibilité de choisir entre deux options : soit la dissociation complète des actifs ; soit la préservation d'un système de fourniture et distribution, à condition que la gestion du réseau de distribution soit transmise à un organe distinct. Objectifs : dissocier les opérateurs chargés de la collecte, du transport et de la distribution du gaz, autrement dit, casser quelques monopoles, y compris d’Etat.
Huit Etats membres avaient proposé une troisième option, qui aurait permis aux fournisseurs de conserver leur réseau de distribution, au sein d'une structure faisant en sorte que la distribution soit indépendante en pratique.
Cette troisième option a été rejetée de justesse (24 votes pour, 24 votes contre, ce qui a entraîné le rejet de l'amendement). Mais la commission parlementaire a soutenu (par 38 voix pour et 10 contre) une proposition allant dans le même sens avec d’autres modalités et la possibilité de créer des opérateurs de distribution indépendants".

C’est Anne Laperrouze (MoDem, France) qui, su convaincre ses collègues qu'une séparation pure et simple entre les activités de fourniture et d'acheminement, n'était pas la seule voie possible pour garantir une concurrence effective.
 
Les entreprises verticalement intégrées devraient pouvoir conserver leur intégrité, mais un gestionnaire indépendant aurait la responsabilité de veiller à ce que, dans ses investissements, ces entreprises tiennent compte des besoins des autres fournisseurs de gaz qui voudraient distribuer dans les pays en utilisant les réseaux de gazoduc gérés par d’autres.
Autrement dit ; pas d’éclatement patrimonial, mais un libre accès contrôlé. Un amendement de bon sens qui, selon Mme Laperrouze elle-même, n’est "pas parfait" mais qui a le mérite de replacer la "question du gaz" dans son vrai contexte. Elle le dit elle-même : "Le marché du gaz est un marché particulier : les producteurs de gaz sont en effet pour la plupart situés dans des pays tiers. Il nous appartient donc de ne pas se précipiter dans des solutions et mécanismes qui fragiliseraient l'Union Européenne. La propriété des réseaux est une question cruciale qui mérite qu'on n’y réfléchisse pas de manière idéologique".
 
Si ce choix est retenu, les Etats membres et les sociétés pourraient choisir entre une séparation complète des opérations ("découplage complet de la propriété") ou ce nouveau dispositif, le modèle du gestionnaire de transport indépendant.
 
Techniquement, ce modèle prévoit que les sociétés de fourniture de gaz conservent la propriété des lignes de transport tout en transmettant sa gestion à un gestionnaire indépendant dont l'indépendance opérationnelle est garantie par :
 

  • un "mandataire indépendant", qui doit viser à protéger la "valeur des actifs du gestionnaire du système de transport".
  • un "organe de surveillance," composé de représentants des sociétés gazières, d'actionnaires indépendants, de représentants du gestionnaire du système de transport ainsi que le mandataire - responsable pour les décisions qui pourraient avoir une "incidence significative sur la valeur des actifs".
  • un "programme de conformité," comprenant des mesures qui préviennent toute "conduite discriminatoire"
  • un "agent de conformité" responsable de la surveillance de la mise en œuvre du programme de conformité.

 
Dans les cinq années suivant l'entrée en vigueur de la directive, l'Agence des régulateurs énergétiques doit faire rapport sur les obligations de préserver l'indépendance des gestionnaires de systèmes de transport.
 
Une bonne mesure de précaution : Les députés ont également voté en faveur de la proposition de la Commission visant à prévenir le contrôle des systèmes de transport par les Etats tiers à l'exception d'un accord international liant l'Union européenne et des Etats tiers. C’est la moindre des choses pour ce qui est d’abord quoi qu’on puisse en dire un « service public ».

Les députés ont également apporté une série de modifications à la proposition de la Commission visant à protéger le consommateur, qui devrait avoir :
 
- le droit de résilier leur contrat avec les fournisseurs sans subir de pénalité ;
- le droit de compensation si les niveaux de qualité ne sont pas satisfaits (exemple : facturation imprécise et en retard) ;
- accès à l'information sur les droits des consommateurs sur les factures et sur les sites web des compagnies gazières ;
- accès à l'information sur les procédures à suivre en cas de litige ;
- le droit à l'information, sur base trimestrielle au minimum, sur la consommation de gaz et les coûts y afférent ;
- accès à des bornes intelligentes dans les dix années de l'entrée en vigueur de la directive.
 
Une initiative positive également : à l'instar du vote sur la directive sur le marché de l'électricité, la commission de l'industrie a pris en compte le cas des consommateurs vulnérables. Les Etats membres de l'UE devront prendre les "mesures appropriées pour faire en sorte que les citoyens dans une situation de pauvreté énergétique" - ceux qui ne peuvent se permettre de chauffer leur logement dans la décence, selon la définition de l'OMC - "décroît en termes réels".
Les députés ont également insisté pour que les Etats membres coopèrent pour réduire le coût de l'énergie dans les ménages à faible revenu. Mais comment avec quels moyens ? Rien de précis…Dans le même ordre d'idée, les députés ont donné leur appui à un amendement donnant mandant aux autorités nationales "d'introduire des formules de prix qui augmentent selon le volume consommé".
 
Quant aux autorités nationales de régulation, elles devraient :
 

  • assurer l'efficacité énergétique et intégrer les sources renouvelables (par exemple le biogaz) tant dans le réseau de transport que dans le réseau de distribution ;
  • faciliter l'accès au réseau pour les nouveaux acteurs du marché et les énergies renouvelables ;
  • améliorer les plans d'investissement annuel des gestionnaires de systèmes de transport ;
  • fixer ou approuver les tarifs d'accès au réseau ;
  • imposer des sanctions - y compris des pénalités allant jusque 10% du chiffre d'affaires annuel - aux sociétés gazières en infraction à leurs obligations de non-discrimination.

 
La commission parlementaire soutient également les dispositions prévoyant que les Etats membres doivent faire en sorte que les opérateurs du système de distribution aient "un ou plusieurs systèmes intégrés au niveau régional couvrant plusieurs Etats membres pour l'octroi de la capacité et la vérification de la sécurité du réseau". Là encore, il s’agit d’une disposition de bon sens qui mériterait sans doute d’être précisée notamment dans les régions dites "frontalières".


Avec prudence, la commission parlementaire a voté tous ces amendements mais sans procéder à un vote global final. En clair, des négociations vont se poursuivre pour qu’un compromis plus cohérent et plus détaillé soit mis au point. La commission de l'industrie examinera ce texte à nouveau lors de sa prochaine réunion.

Mais, n’est-ce pas là un bon exemple de sujets, qui mériteraient une information plus complète des citoyens par des efforts pédagogiques et des consultations publiques ? C’est aussi le type de sujets qui devraient être examiné en amont par la commission spécialisée des parlements nationaux… Car quand ce genre de dossiers apparaît en séance plénière, ils sont trop bouclés. Et les consommateurs-contribuables-salariés font des "découvertes" qui ne servent pas la "cause européenne". la démocratie vécue, surtout dans l’Union européenne, consiste à pouvoir suivre l’évolution des dossiers même quand on n’appartient pas à la "sphère technocratico-politique"… Mais cela n’est pas vrai que pour les secteurs dits "stratégiques"…


Jacques DEHAIRE

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