A une époque où les « rétrospectives » sont de mode, peut-être les souvenirs de la doyenne des femmes metteurs en scène trouveront-ils quelque faveur auprès du public. Je n’ai pas la prétention de faire oeuvre littéraire, mais simplement d’amuser, d’intéresser le lecteur par des anecdotes, des souvenirs personnels, sur leur grand ami le cinéma, que j'ai aidé à mettre au monde.
C’est par ces deux phrases toute en simplicité et modestie que commence l’autobiographie d’Alice Guy (1873-1968), première femme réalisatrice de l’histoire du cinéma, pourtant inconnue aujourd’hui par bien des gens qui se disent cinéphiles (dont moi-même jusqu’il y a très peu de temps). A grand coup de rétrospectives, d’expositions, de restaurations de vieux films, les historiens du cinéma nous ont appris que les inventeurs du cinéma s’appelaient Lumière, Méliès, Zecca… Personne ne nous a parlé d’Alice Guy. Et Pourtant…
Entrée comme secrétaire à 21 ans au service de Léon Gaumont, vendeur de caméras, elle assiste à une des premières projections du cinématographe par les frères Lumières en 1895, et sa vie bascule. Fille d’éditeur et grande lectrice, elle comprend très vite que le cinématographe ne doit pas se résumer à la prise de vue de reportage mais peut devenir un formidable outil pour raconter des histoires.
Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un peu de théâtre d’amateur et pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu ce consentement. Ma jeunesse mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. Je l’obtins cependant, à la condition expresse que cela n’empiéterait pas sur mes fonctions de secrétaire.
En mars 1896, elle tourne La fée aux choux, un des tout premier film de fiction de l’histoire du cinéma. A partir de là, poussée par un grand sens artistique et beaucoup d’audace elle ira d’innovation en découverte: gros plan, accéléré, ralenti, surimpression, colorisation des films, utilisation du parlant dès 1902 (25 ans avant Le Chanteur de jazz considéré comme le premier film parlant de l’histoire du cinéma!)… Cette femme passionnée ne cesse de repousser les limites du cinéma et d’en inventer sa grammaire. En 1906, elle réalise La Vie et la mort du Christ, un film de 34 minutes (un record à l’époque) qui mobilise 300 figurants et 25 décors différents.
Elle se marie ensuite et part aux Etats-Unis où elle continue sa carrière de réalisatrice avec beaucoup de succès. Elle devient riche et célèbre, dirige les futurs grandes actrices de l’époque à qui elle conseille de jouer de manière plus naturelle. En 1919 son mari la quitte pour une actrice, et il coule peu de temps après sa société, la Solax, du fait d’une mauvaise gestion. Elle rentre en France ruinée, avec ses deux enfants à charge. Elle ne retournera plus jamais de film, et meurt en 1968, à 95 ans, dans l’indifférence totale.
Elle laisse derrière elle pas moins de 600 films donc beaucoup ont été égarés aujourd’hui.
Le jardin oublié, la vie et l’oeuvre d’Alice Guy-Blaché de Marquise Lepage, 1995
Le jardin oublié - La vie et l'oeuvre d'Alice Guy-Blaché
Un long métrage documentaire qui réhabilite la mémoire de la première réalisatrice de l'histoire du cinéma, morte oubliée de tous, au New Jersey, en 1968, à l'âge de ...
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