J’ai pris le train ce matin-là comme tant d’autres, toutes les années d’avant. Mais au lieu de tourner à droite après le square, j’ai continué tout droit. J’ai marché dans les rues à l’heure où l’odeur de javel remplace peu à peu celle de la bière qui déborde, mêlée à celle de vomi et d’urine.
Je suis entrée dans le bâtiment vieux et sale, il sentait la poussière des livres, les larmes et la sueur. J’ai fait la file comme tout le monde, dans cette grande salle où les tables étaient disposées en U. J’ai écrit mon nom et celui de mes parents. J’ai écrit Faculté de Philosophie et Lettres, et puis en dessous Philologie Germanique. J’ai tendu mon diplôme, ma carte d’identité, peut-être un extrait d’acte de naissance aussi, je ne sais plus. L’argent que mon père m’avait confié. J’ai pris les papiers que la dame m’a tendus, je les ai rangés dans ma pochette. J’ai dit merci, et au revoir.
Je suis ressortie, un peu sonnée, mais fière. J’avais dix-huit ans, et je venais de décider de ma vie. Mon premier grand pas dans l’inconnu, pleine d’espoirs et de naïveté.
J’ai retraversé la Place du XX août dans l’autre sens.
Nous étions le 20 août 1993. Il faisait chaud.
J’avais signé pour des années de poussière des livres, de larmes, et de sueur. J’ai repris le train pour rentrer, et je crois que je suis allée manger une glace avec mon amoureux, comme si rien n’avait changé.