Si vous voulez oublier la grisaille parisienne, programmez-vous une soirée au Palais-Royal sans attendre que la circulation ne bloque de nouveau la capitale et encombre les rames du métro.
De toutes façons il y a urgence car la dernière (irrévocable d'après le théâtre) aura lieu le 6 septembre, après 3 mois pleins.
Je n'avais pas, jusque là, remarqué l'inscription au fronton de la scène : Mieulx est de ris que de larmes escrire. Pour ce que rire est le propre de l'homme. Vivez Joyevx. Rabelais
En sortant du théâtre, je me disais qu'Hervé Devolder nous en avait livré une époustouflante démonstration en mettant en scène la pièce que Georges Feydeau a co-écrite avec Maurice Desvallières. On la redécouvre totalement car on n'a pas l'habitude de l'avoir vue et entendue en comédie musicale.
Pour être joyeux ça l'est ! Rabelais serait satisfait.
Enlevé, élégant (les costumes sont très aboutis, comme tout ce à quoi nous a habitué leur créateur, Jean-Daniel Vuillermoz, Molière 2011 pour les costumes d'Henri IV), agilement chorégraphié, extrêmement drôle et surtout intelligent, ce qui n'est pas si courant pour du vaudeville. Dans un décor en trompe l'oeil parfaitement réussi de Jean-Michel Adam.
Résumé du spectacle :
Eugène Gévaudan, apothicaire à Loches, son frère Alfred, et sa sœur Laure, sont montés à Paris pour trouver des partis. Croyant être dans l’agence matrimoniale de Plucheux, ils débarquent dans le bureau de placement de Séraphin et sont recrutés comme domestiques chez le Docteur Saint Galmier. Ils prendront le docteur, sa sœur Rachel et sa fiancée Léonie pour leurs prétendus ! L’irruption de la cocotte Michette, ancienne maîtresse de Saint Galmier ajoutera aux quiproquos et aux coups de théâtre ainsi que la méprise qui fera croire à Saint Galmier que ces trois curieux domestiques sont trois aliénés échappés de son établissement de soins : le Louvre hydrothérapique. C’est dans ce lieu insolite, entre deux baignoires que s’achève la pièce en un dernier acte délirant et effréné.Cela commence par la satire d'une agence de placement qui résonne avec les plaintes qui sont faites à propos de Pôle Emploi. Les chômeurs s'énervent de devoir patienter. Ce n'est pas parce qu'on est privés d'emploi qu'on a (aussi) du temps à perdre. Surtout quand on est mis à la porte de l'agence parce que c'est l'heure de déjeuner.
Un seul s'en tire à bon compte, bien qu'il ne sache rien faire. Il intègrera un zoo où il sera bien bon à peigner la girafe. Séraphin, le patron de l'agence, a réponse à tout. Il s'y entend pour accorder les offres aux demandes. Alors quand son copain de l'agence matrimoniale se retrouve lui aussi sur le pavé il prendra les choses en main "naturellement".
C'est là que les vrais ennuis commencent pour notre plus grande distraction.
Les Lochois sont ploucs à souhait, mais pas stupides. Et on les suivrait volontiers quand ils esquissent quelques pas de bourrée.
Leur condition d'employés de maison révèlera leur incompétence dans le domaine mais pas dans celui des bonnes moeurs : nous pourrions faire un impair, craignent-ils prudemment.
On leur annonce qu'ils vont servir ... mais à quoi ? se demandent-ils avec raison.
Les jeux de mots entrainent les quiproquos : samedi ça me dit, jeudi je dis ... c'est classique mais ça fonctionne encore mieux en chansons. Les apartés ajoutent le piment nécessaire. On rit et on applaudit beaucoup. C'est que les comédiens chantent en direct et que l'on les apprécie à leur juste valeur, ainsi que les musiciens qui jouent eux aussi en direct, juste derrière le décor.
Les injures lancées à tue-tête sont drôlisssimes ; on voudrait prendre des notes pour les réutiliser en provoquant une dispute entre collègues, rien que pour voir leur tête ...
Il y a aussi de la sensibilité et une certaine tendresse. On irait presque jusqu'à compatir avec ces gens qui en ont assez des mariages parisiens et s'en retournent à Loches.
Après un petit French Cancan tout de même.
Jacques Mougenot a osé faire une adaptation musclée, soustrayant ici, ajoutant là. Feydeau terminait sur un dialogue entre la cocotte et le droguiste provincial :
Michette. — Quelle désillusion ! moi qui rêvais les grandeurs, qui me croyais déjà la femme d’un lord italien.
Gévaudan. — Un lord ! Ah ! bien ! consolez-vous ! vous auriez été malheureuse, vous connaissez le proverbe : ni Lords ni les grandeurs ne nous rendent heureux !
Au Palais-Royal on rebondit sur le mot "heureux" pour invoquer le poème de Du Bellay, un artiste angevin :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,Et puis est retourné, plein d'usage et raison,Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand on rit, on sourit, on est guéri !!!! Le mot de la fin est dit. Rabelais serait content, je vous le dis.
Les fiancés de Loches, d'après Georges Feydeau
Théâtre du Palais-Royal, 38 Rue de Montpensier 75001 Paris
du mardi au samedi à 21h, jusqu'au 6 septembre 2014
Avec Christine Bonnard, Charlotte Filou, Clarra Hesse, Claudine Vincent, Adrien Biry-Vicente, Arnaud Denissel, Fabrice Fara, Patrice Latronche, Franck Vincent
Réservations : 01 42 97 40 00
Les photos du spectacle sont de Emilie Brouchon.