Manhattan est une nouvelle série de 13 épisodes diffusée sur les ondes de WGN America depuis la mi-août. L’action se déroule en 1943 dans la petite ville de New Mexico alors que le scientifique Charlie Isaacs (Ashley Zuckerman) accompagné de sa femme Abby (Rachel Brosnahan) a été recruté par le gouvernement américain. Avec d’autres professionnels, ils ont pour mission d’élaborer le plus vite possible la première bombe atomique (il s’agit du Manhattan project) de l’histoire pour ainsi mettre fin à la Deuxième Guerre mondiale qui fait des centaines de victimes à la minute. Outre la pression constante exercée par le gouvernement et les équipes de recherches voisines, ces scientifiques ont pour instruction de ne pas glisser un mot de leurs découvertes à leurs épouses. Évidemment, l’atmosphère dans ce huis clos forcé en plein désert de Los Alamos est très lourde, et c’est sans compter des espions qui rôdent autour du camp. Deuxième production originale de WGN America, Manhattan est dotée d’une intéressante prémisse, mais ne livre pas la marchandise; pas assez vite en tout cas. Après trois épisodes, on se demande toujours dans quelle direction on veut nous amener et les protagonistes sont trop pâlots pour qu’on s’y attache. Avec cette série, on peut du moins s’esclaffer sur la pudeur américaine qui encore une fois, n’en est pas à une contradiction près.
L’ennui évident du désert
Les Isaacs sont accueillis à leur arrivée au village par un autochtone qui leur dit « welcome to nothing ! ». En effet, l’emplacement où toute l’équipe de scientifiques travaille est classé ultra-secret par le gouvernement américain et n’a pour nom que le code postal 1663. Charlie a été recruté en raison de ses talents supérieurs avec les chiffres. À seulement 26 ans, il a écrit une thèse qui a créé une onde de choc dans le monde scientifique, mais le seul journal qui ne l’a pas publié est celui de Princetown; l’éditeur Frank Winter (John Benjamin Hickey) n’y ayant rien trouvé de bien novateur. Or, c’est celui-là même qui conduit les recherches au camp et les frictions entre les deux hommes sont légion. Les choses se corsent dans ce giron alors que les autorités arrêtent un des employés de la base, Sid Liao (Eddie Shin), accusé d’espionnage à la solde du Japon. Mais ils ont beau le séquestrer pendant plusieurs jours, ils ne parviennent pas à lui tirer les vers du nez. Lorsque Sid parvient à s’échapper (aidé par Frank qui ne croit pas à son innocence), il est reconnu à l’entrée du camp et tué sur le coup par un garde. Afin d’éviter une récidive, les mesures de sécurité se font de plus en plus strictes, au détriment de toute la communauté dont le séjour se transforme en prison.
Autant la première création originale de WGN America, Salem, faisait tout ce qu’elle pouvait pour être subversive, autant avec Manhattan on tombe dans la platitude. Il y a peu d’action et le quotidien de tout le monde dans cette base n’a rien d’enlevant. Les épisodes se suivent et se ressemblent, et on se demande bien où les scénaristes veulent nous amener. Le fait qu’il n’y ait pas de personnage principal clairement identifié accentue cette impression et Brian Lowry dans sa critique abonde : « without a central lead, the project tends to careen around like loose ions, lacking a stabilizing core ». Nous avons cependant une certitude, c’est qu’il y aura bien évidemment une bombe puisqu’au début du pilote, il est écrit en surtitres à l’écran : « 766 days before Hiroshima ».
L’autre aspect qui fait défaut est le manque de « politique » dans les épisodes. On déplorait par exemple qu’on accorde autant d’importance au bureau ovale dans la blafarde The Lottery. Aucun des protagonistes n’y était vraiment crédible alors qu’on aurait dû mettre l’accent sur l’absence de natalités dans le monde du point de vue des familles. Cette mauvaise orientation de l’intrigue peut aussi être appliquée à Manhattan. On aurait aimé sortir de temps en temps de ce camp et surtout qu’on explore le côté politique de toute cette guerre (à l’image de l’excellente 37 days) en lien avec une future bombe capable de rendre un pays le maître du monde. Par exemple, Frank est persuadé que si les États-Unis sont les premiers à percer le secret, la guerre se terminera (en ce sens, il a raison) et que seul ce pays est assez démocratique et mature pour transformer la Terre en havre de paix. Quelle belle naïveté!
Signalétique troublante
Les trois premiers épisodes de Manhattan sont classés (selon le système américain) PG 14, entre autres pour le contenu à connotation sexuelle que l’on y retrouve. Dans le pilote, Abby discute à l’extérieur avec d’autres et aperçoit par une fenêtre une femme qui vient de sortir de la douche et qui s’essuie face à la fenêtre. La caméra nous montre celle-ci de dos et au moment où elle s’éloigne, on devrait en principe voit son creux de reins, mais au montage, on a rendu flou cette partie de son corps. Après le doigt d’honneur censuré dans Gang related, c’est un plan d’à peine une ou deux secondes qui y passe. Cette pudibonderie est à la limite scandaleuse quand on constate que les standards concernant la violence à l’écran sont cent fois moins élevés. Au pays de l’oncle Sam, la peau fait manifestement peur…
904 000 téléspectateurs ont répondu présents lors de la première de Manhattan. Bien que Salem lors de son lancement en ait attiré plus (1,5 million), on peut tout de même parler de minisuccès étant donné que WGN America n’est présente que dans 62% des foyers américains. On apprécie l’effort de la chaîne de vouloir créer ses propres dramatiques, mais pour le moment elle semble se chercher, tombant d’un extrême à l’autre. En tous les cas, Manhattan ne marquera pas l’été.