Brad Stone : Amazon, la boutique à tout vendre; Jeff Bezos et la saga Amazon

Par Manouane @manouane

C’est au moment où je m’apprêtais à sortir de la librairie que je visitais à Toronto que j’ai vu le livre de Brad Stone intitulé : « The everything store : Jeff Bezos and the age of Amazon (Amazon : la boutique à tout vendre; Jeff Bezos et la saga Amazon) ». Il trônait au sommet d’une pile de livres de plus d’un mètre de haut et dont l’équilibre semblait fort précaire. Voyant que je regardais la page couverture, le propriétaire de la librairie m’a indiqué qu’après l’avoir lu, je ne voudrais plus jamais acheter quoi que ce soit sur Amazon. Il souligna que ce livre présentait en détail certaines stratégies de cette entreprise et qu’il était de nature à provoquer des nausées.

Et il avait raison. Même s’il a fallu que j’atteigne la page 294 avant de tomber sur les fameux passages auxquels il faisait référence, je ne fus pas déçu.

Le journaliste Brad Stone présente dans ce livre l’histoire de Amazon.com. Dans la première partie, il raconte les 10 premières années suivant la naissance du site web, décennie marquée par l’éclatement de la bulle technologique dans les années 2000. Détail amusant, alors que Bezos cherchait à démarrer une entreprise de vente en ligne, il s’est questionné quant au type de produits à vendre. Pour effectuer son choix, il a tout d’abord dressé une liste de vingt rayons potentiels, dont les fournitures de bureau, les logiciels, les vêtements et la musique. Il arrêta son choix sur les livres car il s’agit d’un « article totalement standard; chaque exemplaire d’un livre étant identique à un autre, les acheteurs peuvent savoir pertinemment ce qu’ils vont obtenir » (p. 42).

Si la seconde partie se penche sur l’enfance de Jeff Bezos – j’ai sauté cette section – c’est dans la troisième partie, qui couvre la période qui s’étend de 2004 à aujourd’hui, que l’auteur explique en détail les différentes stratégies mises en œuvres par Jeff Bezos. À ce moment, Steve Jobs à la tête de Apple réalise une percée significative en commercialisant le iPod et en devenant un leader de la vente en ligne de musique grâce au logiciel iTunes. Voyant son succès, Bezos désire faire à l’identique mais avec les livres. Il fait ainsi développer en secret ce qui va devenir le Kindle et, en attendant son lancement, va fortement encourager les éditeurs à fournir à Amazon une version électronique des livres publiés afin d’offrir aux acheteurs intéressés de fureter quelques pages du livre en ligne.

Lorsque le Kindle est lancé, Amazon offre les livres électroniques au prix de 9,99$. Pourquoi ce prix? « Aucun calcul ne justifiait ce chiffre; la décision était avant tout intuitive, partant du modèle de prix d’Apple à 99 cents la chanson numérique sur iTunes. Elle était fondée sur la supposition que les consommateurs s’attendaient à payer moins pour un e-book que pour un livre papier, car un e-book n’avait pas à supporter les coûts associés à l’impression et au stockage » (p. 307). C’est lors du lancement du Kindle que les éditeurs apprendront non seulement la volonté de Bezos d’aller de l’avant avec des livres électroniques mais aussi de son choix relativement au prix demandé. Ils n’ont bien entendu pas vraiment apprécié les façons de faire de l’entrepreneur.

La troisième partie du livre est truffé d’exemple de la soif immodérée de gagner de Jeff Bezos. C’est ainsi qu’on apprend que Bezos exige des éditeurs de meilleures marges de profit pour Amazon. Ceux qui refusent voient leurs titres être retiré des moteurs de recommandations aux lecteurs, un système qui permet de trouver facilement des titres qui correspondent aux envies de lectures des visiteurs. Suite à cette sanction, certains éditeurs ont vu leurs ventes plonger jusqu’à 40%.

Au sein de l’équipe des cadres de l’entreprise, la stratégie est encore plus agressive. Un jour, un cadre d’une maison d’édition se rendit chez Amazon pour une série d’entretiens d’embauche.

« Parmi ceux-ci, il en eut un avec [Laura] Porco [cadre chez Amazon], qui lui posa une unique question : ‘Quelle est votre stratégie de négociation?’ Il répondit que, pour lui, une négociation était réussie quand les deux parties étaient satisfaites. Il n’obtint pas le poste car, pour Porco, c‘était une réponse contraire à l’esprit d’Amazon : une seule partie devait toujours gagner » (p. 304).

L’intérêt de ce livre réside tant au niveau commercial que technologique. Commercial, car il est intéressant de suivre la naissance et l’évolution d’une entreprise de commerce électronique qui a réussi à passer au travers l’éclatement de la bulle de l’an 2000 et la crise économique de 2008. Technologique, car il est fascinant de voir comment Amazon a adapté ses stratégies selon le contexte et les acteurs, qu’il s’agisse de Apple, Google, ou d’entreprises aujourd’hui disparues.


Brad Stone
AMAZON : LA BOUTIQUE À TOUT VENDRE
JEFF BEZOS ET LA SAGA AMAZON
Éditions First, Paris, 2014, 429 pages