David Boring (traduisez ennuyeux, pénible) raconte sa propre histoire. Il commence par sa date de naissance, évoque avec émotion ses premières amours de vacances avec sa cousine Pamela, nous explique les origines de son amitié virile avec sa meilleure amie, et surtout il avoue dès la page trois sa fascination perverse pour les popotins. David Boring, comme tout jeune homme ennuyeux qui se respecte, fait un complexe d'Œdipe monstrueux : son père est porté disparu et il entretient des relations d'amour/haine avec sa môman.
David Boring est une BD très bien dessinée dans son genre ; le trait est académique, la case n'est jamais rompue, mais la réalisation de chaque case et de chaque planche est étudié avec beaucoup de justesse. Clowes fait preuve d'une précision cinématographique dans les scènes cruciales, s'attachant aux détails qui comptent, aux variations infimes dans l'expression des visages. C'est bien écrit : les dialogues sonnent juste, les mots ont souvent un double sens. Des objets du quotidien reviennent de façon symbolique éclairer le sens de l'intrigue. Parmi ceux-ci, un comic book écrit par le père de David en 1968, qui laisse notre héros sur un petit goût d'inachevé.
Les amateurs de Ghost World, du même auteur, trouveront probablement leur compte dans le premier acte de David Boring. Pour les deux suivants, c'est moins évident. Le scénario utopie/polar inventé par Daniel Clowes ferait j'en suis sûr un excellent film, mais dessiné il me semble tout juste improbable et assez cliché. Toutes les hantises de la société nord-américaine moderne y passent, de la sexualité revue aux travers du cinéma porno à la fascination pour les armes, en passant par la dégénérescence familiale et la corruption des règles sociales et religieuses. Rien de bien nouveau depuis le cinéma des années 1950. C'est une présentation classique, consensuelle de la société contemporaine ; ça n'est ni le "bordel visionnaire" ni le "politiquement incorrect" d'un album de Robert Crumb, par exemple.
Mais finalement, cette façon de pousser tous les aspects de l'intrigue à leur paroxysme témoigne sans doute assez bien de l'année 2000. Et lorsque Daniel Clowes bouscule ses personnages au bout de 80 pages pour les faire verser dans la paranoïa collective, il faut avouer qu'on est pour moitié dans un microcosme à la Hitchcock, et pour moitié dans un scénario géopolitique de l'ordre du probable : septembre 2001 est tout proche, après tout.
Les bonnes impressions que je garde de la lecture de cette BD sont donc surtout de l'ordre de la mise en scène et des échos à l'intérieur de l'intrigue. Mais je trouve que la construction est assez bancale et que le contexte est assez "utilitaire" dans l'intrigue. Et puis oui, je trouve effectivement David assez boring pour un personnage principal...
116 pages, éd. Cornélius 2004 - 22 €
http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Clowes