Avec de nombreux stands de disques présents sur l'ultime festoche de l'été, tenus par les disquaires parisiens les plus pêchus, Born Bad, Fargo Vinyle, Balades Sonores, Ground Zero, Betino's Records, l'institutionnel Rock En Seine semble avoir enfin saisi le retour d'une tendance qui ne tient pourtant qu'à un fil. Avec pas moins de sept labels présents dans l'enceinte du village sonore, les mélomanes amateurs et avertis pourront ainsi mieux saisir les étapes de promotion et de distribution d'un disque. A fortiori, écouter un disque sous son support physique sous-tend une expérience sensiblement différente d'une écoute numérisée. Pour comprendre cela, penchons nous donc sur la dimension phénoménologique qui se dégage de l'utilisation d'un vinyle par l'auditeur, afin de saisir les tenants et aboutissants de cette expérience.
Le vinyle, un objet qui fait sens
Au cœur d'une économie musicale de plus en plus dématérialisée, le son n'étant pas à proprement parler un objet matériel par essence, les bonnes ventes de vinyles de cette année attestent d'une prise de contrôle de l'auditeur sur l'objet. Poser un vinyle sur une platine fait ainsi plus éminemment sens qu'un simple clic sur une plate forme de streaming musicale. L'objet devient ainsi réel, déposant une trace pérenne dans la mémoire. On laisse l'album tourner au lieu de zapper sur une time line pour vérifier ce que le morceau a dans les tripes, le temps d'écoute d'une œuvre se prolonge ainsi naturellement, et par ce biais l'attention qu'on lui portera. Car si vous l'avez oublié, écouter un morceau de musique demande un certain éveil de conscience, que le prisme du plaisir fugace et paresseux, ne peut atteindre que de manière parcellaire. En résumé sachez refouler votre subjectivité, ce sont souvent les œuvres qui nous font le moins écho qui finissent par le plus parler à notre âme. Une question d'apprivoisement certainement, d'apprentissage définitivement.
Au delà de cette dimension, écouter un disque dans son intégralité permet de s'approprier et de comprendre le dessein pensé par un artiste. Comme on lit un livre, vous ne pouvez sauter un chapitre pour comprendre son intrigue, il en va de même pour un album de musique, lui même constitué d'un début et d'une fin. Je repense à ce titre au fabuleux Melody Nelson de Serges Gainsbourg, ou encore au dernier opus des parisiens de Moodoïd, qui sera présenté le vendredi soir au sein du village sonore via une projection de clips. Des albums où l'omission d'une piste revient à effacer un pan entier de l’œuvre tant cette dernière se veut scénarisée. Certes cette formulation est ici univoque et se lira en filigrane dans bien d'autres disques au scénario moins visible car uniquement musical et dénué de texte, la lecture de l’œuvre s'opérant alors par une ligne directrice toujours charnière mais plus inconsciente.
Tout çà pour vous évoquer au final la cohérence artistique de l'objet, seul trait capable de définir la qualité de ce dernier. Un disque peut être bigarré, baroque, boursouflé par diverses influences, il n'en reste pas moins que s'il parvient à ne pas relâcher le fil d’Ariane dans son élaboration, l'opération en sera nécessairement réussie. L'ère musicale actuelle semble ainsi se définir par une infinité de croisements, comme par un besoin de se réapproprier des sources, dont le tarissement sera évité par un jeu de vase communicant intemporel. Le Post Punk, le Shoegaze, le Rockabily, autant de genres dévoués au rock. De même pour le Hip Hop, le Trip Hop repêchant certaines arcanes de la soul et du funk, déboitant ainsi sur le RnB, ce dernier résumant assez bien la transmission et le croisement des genres, empruntant aussi à la House pour sa base rythmique.
Des styles transgenres donc, construits sur la base d'un héritage qui semble définitivement encré dans leur chimie organique, partageant un ADN inséparable d'un génome qui se veut universel. Et je ne parle pas du courant électronique, dont la révolution aujourd'hui posthume, tourne en boucle comme un électron autour de son noyau. A ce titre acceptons que la musique d'aujourd'hui se réalise plus que jamais par des mélanges, et savourons ces cocktails, hybrides certes, mais révélateurs de nouvelles saveurs, bien que les ingrédients qui les composent soient déjà connus de notre palais.
Une programmation léchée, pachydermique et avant-gardiste
N'en déplaise à d'autres qui ont bâti leurs fondations sonores sur des identités révoquées mais remis au goût du jour telle que la plantureuse Lana Del Rey, qui en deux albums, affiche son identité rétro tout droit débarquée des 50's, avec sincérité et fidélité, que l'on aime ou pas, le dessin y est encore une fois cohérent. Ou encore les Queens Of The Stone Age et leur Desert Rock pictural, dont les frontières éprises inlassablement du même paysage fondent une œuvre rarement prise à défaut... Une dernière collaboration avec Sir Elton John suffit d'ailleurs à démontrer que Josh Homme, "macho sensible" par excellence, s'en sort beaucoup mieux dans l'affichage d'une virilité assumée que dans l'exploration musicale d'une pop sentimentaliste mielleuse. Une dernière coutume que ne saurait renier l'une des révélations françaises de l'année, François Atlas And The Moutains, porteur d'une variété assez torturée pour ne pas devenir redondante, et ce grâce à un chant syncopé, supporté par un piano aux rebonds nostalgiques et diablement entêtants. Le plus anglais des groupes français tiendra ainsi le haut du pavé d'une scène française en plein renouveau, parmi lesquels seront présents Pégase, Petit Fantôme et Cheveu, punk mal léché, labellisé par le précurseur des disquaires parisiens Born Bad Record. Une scène sera en outre érigée à l'attention de la nouvelle scène parisienne, géolocalisation oblige, avec une sélection d'artistes encore une fois très hétérogène, de la funk groovy - électrique des versaillais de Encore !, au punk décérébré de TITS, en passant par le psychédélisme désenchanté de Forever Pavot, le mélange s'annonce explosif !
La grande ligne artistique du festival fera résonner une nouvelle fois une note très anglophone, Portishead en tête de file, dont les rumeurs vont bon train sur un nouvel album solo de la Miss Gibon en attendant le successeur de Third, arlésienne musicale devant l'éternel... Le trio de Bristol sera en outre précédé des psychédéliques américains de The Ghost Of A Saber Tooth Tiger, formation émergée sous l'impulsion de la progéniture de John Lennon, beaucoup plus inspiré que sur ses essais solitaires. Comme son père autrefois, Sean prouve que le meilleur d'un artiste se corrèle définitivement à une muse. Le trip nostalgique prendra cependant son essor dès le premier jour avec un passage de Blondie, dont on espère que le parfum des années 80 n'a rien perdu de sa douce légèreté acidulée. A noter que leur passage fera suite aux anglais de Wild Beast, dont les arguments mélodiques et électroniques ont tout pour faire oublier l'amer dernier album de Metronomy.
D'autres innombrables artistes de qualité se produiront durant ces trois jours, pour n'en citer que quelques uns, sachez que Mac Demarco, Thee Oh Sees, Warpaint, The Horrors, Trentmoller, Kavinsky, Tinariwen, Crystal Fighters, Joey BadaSS et les Artic Monkeys seront aussi de la partie, afin d'assurer une programmation éclectique et pleine de saveurs, pour une édition qui étirera sa qualité là où ne l'attend pas.
Vous avez donc l'ordre de ne pas camper devant la grande scène en ayant peur de ne pas avoir « la » place pour votre groupe favoris, allez de surcroit écumer les trois autres spots qui seront gages de surprise et de qualité. Découvrez, rencontrez et partagez !!!
Quelques extraits de ce qui vous attend durant les 23, 24, et 25 août au domaine national de Saint Cloud.
Wild Beast "Sweet Spot"
Pégase "Dreaming Legend"
Thee Oh Sees "The Dream"