Relativisons. L'engagement respecte en ce sens les réglementations européennes, interdisant depuis 2004 tout test sur les animaux pour les produits finis, puis les tests pour les ingrédients en 2013 (2). Pourquoi tant de décalage entre les deux directives? Une des raisons invoquées a été de pouvoir proposer des méthodes alternatives de test répondant aux standards de l'ECVAM (European Centre for the Validation of Alternative Methods), organisme officiel créé en 2011. Gageons qu'entre 2004 et 2011, des troupeaux de lobbyistes ont du faire tout leur possible pour freiner les procédures.
Toujours est-il que L'Oréal a longtemps souffert d'une mauvaise presse en matière de tests sur les animaux... Or, le groupe s'est préparé depuis longtemps pour tirer son épingle du jeu. Dès 1989, des protocoles d'évaluations dites "prédictives" étaient mis en place, permettant de ne plus tester les produits finis sur les animaux (soit 14 ans avant la Directive européenne). Restaient les ingrédients... en 2011, le groupe lançait le centre Episkin près de Lyon (ça tombe bien, c'est la même année que la création de l'ECVAM), une plateforme de recherche entièrement dédiée à la reconstruction de tissus humains pour évaluer la sécurité des substances appliquées. Ce n'est donc finalement qu'en 2013 que le groupe annonçait officiellement ne plus tester les ingrédients sur les animaux (ce qui implique l'engagement de près d'une centaine de filiales). Les mauvaises langues diront qu'ils se sont contentés de respecter la législation européenne qui entrait en vigueur cette même année... mais à leur décharge, l'engagement portait sur le monde entier, où cette réglementation ne s'appliquait pas.
Pour être transparente avec vous, j'ai été conviée à visiter Episkin fin mai (oui, je sais, je ne suis pas pressée pour écrire...) - fort intéressant je dois dire. Imaginez: 140 000 unités de tissus sont reconstruits par an (épiderme, derme, cornée oculaire...) à partir de déchets opératoires. D'autres centres ouvrent petit à petit dans le monde pour disposer de divers types de peau (peau asiatique, noire...), car leurs caractéristiques et leurs réactions diffèrent. Ces disques de tissus vivants servent à évaluer des milliers d'ingrédients. Je regrette cependant que ces derniers soient testés un par un, sur du court terme (impossible de mesurer les effets d'ingrédients sur plusieurs mois et encore moins un cocktail de produits) - un problème commun à tous les secteurs recourant à des produits chimiques, pas seulement les cosmétiques. Petite présentation d'Episkin:
Reportage (en anglais) tourné par la chaîne Bloomberg en 2011 sur Episkin
Comment recréer l'épiderme: cliquez l'image pour l'agrandir (désolée, uniquement en anglais) (3)
Pas fou - les investissements représentent 30 millions d’euros par an, L'Oréal propose ces épidermes reconstitués à la vente (Bloomberg TV mentionne 55 euros le disque en 2011).
Au vu de l'infrastructure hyper protégée high tech, on peut légitimement se demander comment certaines entreprises procédaient avant 2013, voire 2004, qui affirmaient ne tester ni les ingrédients, ni les produits finis sur les animaux (Body shop racheté par L'Oréal en 2006, Yves Rocher, Weleda...). Mais... en creusant, il apparait très vite que l'opacité règne bien souvent, à la plus grande confusion des consommateurs.
Pour preuve, les listes de marques conseillées respectant les animaux varient d'une association à une autre. Yves Rocher est listé par l'association One Voice (voir la liste de produits labellisés garantissant qu’un produit n’a pas été testé sur les animaux) mais pas Body Shop. C'est exactement le contraire avec le label Humane Cosmetics Standard (HCS) de l'association Gaïa. Pratique!!! (mais plusieurs marques figurent dans les deux, à bon entendeur...).
Ne noircissons pas le tableau toutefois. Un groupe comme L'Oréal a d'énormes moyens financiers, certes... mais c'est une machine monstrueuse à mouvoir. J'ai pu constater avec plaisir que certains de ses représentants sont tout aussi motivés que vous et moi à vouloir bien faire. Mais là où au sein d'une PME, il suffit parfois d'un seul directeur de département montant au front pour transformer des process, ce n'est pas le cas dans une multinationale. Et rappelez-vous, le propre de toute entreprise est de combler les attentes du consommateur. A lui de faire pression car au final, c'est lui qui a le dernier mot... dans son panier d'achat.
Reste la dernière phrase de l'engagement de L'Oréal citée en tête d'article: "Une exception pourrait être tolérée si une autorité l’exige à des fins sécuritaires ou réglementaires". C'était le cas de la Chine, qui obligeait d'effectuer des tests sur des animaux pour des produits vendus sur son territoire. Le gouvernement vient tout juste de supprimer cette obligation cet été. Il n'est pas impossible que L'Oréal ait joué un rôle dans cette décision, mettant en avant sa technologie (voir à ce titre le reportage sur CCTV). Si influence il y a eu, seul un groupe avec une telle force de frappe pouvait réussir - les animaux chinois apprécieront et nous avec. Malheureusement, il n'est pas interdit que d'autres pays aient des exigences similaires...
Sites officiels: www.episkin.fr et son Centre d'évaluation prédictive: www.lorealpredictive.com
--
Sources
(1) Site du groupe: Engagement de L'Oréal contre les tests sur les animaux
(2) Pour plus d'info, consulter la page dédiée sur le site de la Commission Européenne
(3) Source du diagramme: New Scientist