Une famille de Chonburi (des cousins vaguement éloignés) dont les origines sont au village offre régulièrement des fêtes et processions liées au calendrier Bouddhique. Ils ont aussi petit à petit transformer par tamboun - donations - successifs à transformer le petit temple bucolique de la forêt en un temple ostentatoire où les bâtiments s'accumulent au fil des années, tous plus grands, modernes et plus beaux les uns que les autres , où l'aménagement des espaces extérieurs ressemble de plus en plus à un jardin japonais, le tout ceint d'un mur gigantesque bien peint, où l'on y accède par une porte monumentale digne d'un temple de Bangkokois.
J'observe toujours ce que fait cette famille avec beaucoup de suspicion. Ma Dame me dit alors (et toujours) que c'est bien pour la communauté, que les offrandes au temple font légion en Thaïlande, que mon cœur agnostique (et je la soupçonne de penser « mon cœur de farang ») ne peut comprendre. C'est une ritournelle entre nous lorsque je lui fais part de mes sentiments : qu'il y a trop de villageois vivent dans des cahutes brinquebalantes ouvertes à tous les vents, submergées par les eaux de pluie à chaque mousson, que cette famille ferait mieux d'aider les indigents et qu'elle me rétorque que le temple aide et redistribue (et c'est vrai), que le Karma de ces gens explique cela et que je lui dis que le Dharma... En fait la conversation s'arrête bien avant cet épanchement philosophique ; « je ne comprend rien » dit-elle et je lui réponds « qu'elle se trompe, que je ne veux pas comprendre », ce qui est une grande différence, non ?
Revenons donc à cette famille de Chonburi (province où se trouve la sulfureuse Pattaya mais aussi de nombreuses industries et le port de Si Racha) pétrit de bonnes intentions, elle décide d'ordonner le dernier rejeton de la famille, personne ne le connaît (enfin presque, il est venu quelquefois au village), il a grandit dans une province énormément peuplés, il est un citadin et le choc va être grand pour lui ; la maman veut une ordination digne du rang de la famille, trois jours de ripailles, procession avec camion sono et musicien live trônant sur le haut du véhicule pour le grand jour (le « band » du village avec sa petite charrette dont les haut-parleurs sont alimenté par de simple batteries de voiture n'est pas assez assez pour cela) : trois jours de musique 24/24, Ban Pangkhan s'est transformé en rave party ! Les amis du futur moinillon sont là et veulent vivre « le village » ! La veille de la grande journée, toute cette bande de potes va à la rizière, une ferme quelconque le long du chemin de terre rouge qui s'engouffre au milieu de cette verdure flamboyante. Ils vont goûter aux délices locaux, toute la journée assis en tailleur sur un grand plateau de bambou à l'ombre d'un toit fait de chaume de riz, kai ban & lao khao - poulet de ferme et alcool de riz - mais il faut croire qu'ils ne sont guère aguerris, en rejoignant la route asphaltée les ramenant au village au soleil couchant, ils vont réussir à atterrir en contrebas de la route avec le Fortuner Toyota (celui du beau-frère à ce qu'il paraît, il va être content !) et après une cabriole, ils vont réussir à s'engluer dans la rizière ; deux tracteurs Kubota viendront à bout du 4X4 pour le sortir de cette impasse. Cependant, il est trop tard, tout le village est au courant, et ça déblatère raide près du lieu de la chute, où les experts rient en se demandant comment cette jeunesse a pu faire pour rater la route, droite à cet endroit et à une vitesse qui ne pouvait qu'être lente. Tout le monde le sait, le Lao Khao, c'est pour les locaux, pas pour les autres, plus dure sera la chute ! Le lendemain matin tout est en ordre. Le SUV cabossé, à peine fini de payer à ce qu'il paraît, mais je me méfie des cancans (médisances ?), « va être content le beau-frère ! » est rangé des regards (il fallait faire vite avant que la marée-chaussée ne rapplique). Les jeunes remis de leurs émotions et surtout après cette dernière « joie » de la vie civile, le futur moine peut intégrer le temple ! Aujourd'hui, il y est encore, je le vois passer certains matins et il a l'air de bien accepter sa nouvelle condition...
Le même jour, et c'est le sujet de l'article (il la crache enfin sa Valda, Jeffy), un cousin de la famille qui a déjà atteint la trentaine va lui aussi intégrer le temple, pas celui de Ban Panghkan mais celui de Ban Pochan, le prochain village sur la route menant vers la Mea Nam Yang ; Le petit temple de la forêt est simple, le dortoir des moines est un bâtiment de plein-pied fait de parpaing à nu et d'un toit en tôle ondulée. À deux pas mais à distance respectable, une petite baraque fait la place aux femmes vêtues de blanc, les femmes-moines. Le Bôt - bâtiment principal d'un temple où les reliquaires et statues du Bouddha se trouvent, où les cérémonies importantes se déroulent – est neuf et de belle stature, il trône au milieu de l'espace qui n'est pas aménagé en jardin propret et taillé au cordeau, c'est plutôt « en voie de construction ». Au fond se tient le crématorium du village de Ban Pochan. Près de la rivière, le longeant, des petites cases joliment aménagées où certains moines s'isolent et méditent, des robes oranges sèchent sur des fils à linge entre les arbres de toutes essences qui enchantent l'endroit. De nombreux chiens errent ici et là mais n'aboient pas au passage, même rare, des chalands de toutes sortes et ont l'air de partager cet endroit calme et serein avec des nombreux chats à la queue coupée ressemblant étrangement à un point virgule.
Le cousin, Bœay, a mis du temps avant d'accomplir cette retraite, sa vieille mère n'a pas le sou, il a du économiser pour qu'elle soit fière d'inviter quelques voisins et la famille proche. Tous participent, toute la nuit, à la préparation du repas, qui sera partager au petit matin. Bœay égrainera ses vœux accompagné du Vénérable, de jeunes moines à plein temps et d'un phra - particule marquant le respect que l'on doit dire devant le nom d'un moine lorsqu'on lui adresse la parole - de Bangkok venu pour cette occasion, une connaissance de la famille.
Une cérémonie, simple, sans flonflon, cosy. Il va rester là un petit mois. Il est d'ailleurs déjà reparti travailler, les caisses sont vides mais fier de la fierté et de la joie de sa maman, une sensation du devoir accompli...
Paille Kheundheu...
Le diaporama de l'ordination de Bœay.
« Thaïlande. Un instant de rêverie !
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