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À l’image du serpent de mer qu’est l’A 831 entre la Charente-Maritime et la Vendée, construire une autoroute relève désormais du défi géopolitique||FINANCEMENT Le bon maillage du pays, la maigreur des crédits et la prise en compte de l’environnement sont des freins majeurs au lancement dispendieux des projets. Un rapport officiel qui retoquait l’A 831 l’a rappelé il y a un an.
Les opposants à l’A 831 de l’association Bien vivre en Aunis se mobilisent contre la construction de l’ouvrage qui, selon la présidente Nelly Verdier, traverserait des zones Natura 2000.© PHOTO PHOTO P. COUILLAUD/« SUD OUEST »SYLVAIN COTTIN [email protected]
A l’horizon flottent déjà quelques lignes à haute tension, une rangée d’éoliennes et la carcasse métallique du vieux pont transbordeur de Rochefort. «Et dire que nous sommes au cœur de ce qui était autrefois un archipel de petites îles calcaire», prévient Nelly Verdier, la chef de file des contestataires, au petit sommet de la colline de Ciré-d’Aunis, en Charente-Maritime. Sur la carte autoroutière de France, force est pourtant de constater que l’itinéraire ne semble pas avoir été tracé à la main levée dans ce paysage. Prolongeant le bras mort qu’est aujourd’hui l’autoroute des Oiseaux (A837) entre Saintes et Rochefort, une soixantaine de nouveaux kilomètres promet depuis vingt ans de relier Rochefort et LaRochelle au reste du monde économico-atlantique.Ségolène et le visonMais au milieu coulent une rivière, force rancœurs politiques, tandis que barbotent une armée de grenouilles et le vison d’Europe. Ravivée par Ségolène Royal qui rêve d’enterrer le projet, la polémique entourant le futur tronçon pourrait surtout s’éteindre de sa belle mort dans moins d’un an, date anniversaire et de péremption de sa déclaration d’utilité publique (1).La ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie est soupçonnée d’avoir ainsi voulu régler leurs comptes félons à ses anciens camarades rochelais Jean-François Fountaine et Olivier Falorni, le maire et le député divers gauche de LaRochelle. Mais aussi celui de Dominique Bussereau, son meilleur ennemi et président UMP du Conseil général de Charente-Maritime.Un peu perdus sur le bord de l’improbable route, opposants et partisans n’en continuent pas moins de camper sur leurs positions. Entre deux eaux. «Outre l’inutilité du tracé, cette autoroute traverserait de part en part les marais poitevin et rochefortais, sans doute l’une des plus belles et des plus riches zones humides du pays», accuse la présidente de l’association Bien vivre en Aunis.Mais pourquoi alors ne pas croire aux promesses nombreuses et variées d’une autoroute enfin totalement respectueuse de l’environnement? Missionnée en 2009 par un Jean-Louis Borloo alors ministre - dubitatif - de l’Environnement, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) guère suspecte d’amitiés bétonneuses, n’a pour l’heure rien laissé filtré ou presque des conclusions a priori ambitieuses de son rapport. Plus bravache et bavarde lorsqu’il s’agit d’ouvrir la cage aux oiseaux, l’association présidée par Allain Bougrain-Dubourg renvoie depuis, à la volée, sa patate chaude. «Nous, sans l’accord du ministère, on ne peut rien dire», se justifiait encore cette semaine la porte-parole du mouvement environnemental. «Instinctivement, je suis plutôt pour l’unité du marais poitevin et donc contre l’autoroute», avait d’ailleurs autrefois lâché Jean-Louis Borloo.L’éponge du maraisOutre des «compensations écologiques» déjà imposées aux promoteurs du BTP sous forme de champs et autres passages à réaménager pour les animaux, l’A831 ferait pourtant figure de modèle. Selon les rares fuites plus ou moins organisées, le rapport rendu au gouvernement propose ainsi de multiplier quasiment par dix la longueur des viaducs enjambant le marais. «Qu’importent ces 8 kilomètres et demi sur pilotis, puisque les ouvrages franchiraient de toute façon au moins neuf zones classées Natura 2000», balaie Nelly Verdier. «Même si cela n’a pas empêché la construction de l’A65 entre Langon et Pau. Pour le reste, le sous-sol de notre région est aussi spongieux qu’inconnu. Une poche mouillée filtrant à la fois les remontées marines et les eaux douces du Massif central, où il faut creuser une trentaine de mètres avant de toucher le fond… Et quand on appuie sur une éponge, l’eau finit toujours par ressortir ailleurs.»Une autoroute sur pilotisÀ cela pourtant rien de techniquement impossible selon Emmanuel Gales, le directeur du service hydrogéologie de la société Fondasol. «Même si elles freineront toujours un peu l’écoulement, les fondations isolées des ouvrages portés sur pilotis permettent une bien meilleure circulation des eaux que les canalisations installées sous des remblais classiques. Quand on voit l’état de certaines routes à peine achevées en Camargue, on se dit d’ailleurs que c’est la seule solution. Le seul problème, c’est qu’elles coûtent cher.» Et même très cher, avec 130millions d’euros supplémentaires pour cette maigre portion écologiquement correcte de l’A831. «Ce surcoût est tellement énorme qu’il sera sans doute notre salut», assurent les opposants. «D’ailleurs, Dominique Bussereau a été sept ans au gouvernement, si le chantier est bon, pourquoi n’a-t-il pas réussi à le lancer?»Le long d’un canal longeant ce qui n’est encore qu’un étroit chemin vicinal, le maire de Loire-les-Marais, (commune de Charente-Maritime de 343 habitants) continue à l’inverse de vouloir lui sacrifier deux petits hectares de zone humide sur l’autel socio-économique. «De toute façon, ils sont déjà en partie asséchés par l’agriculture», se justifie Michel Lagrèze. «On sait que toutes les villes de Vendée ont un accès à l’autoroute, on comprend pourquoi les entreprises s’y bousculent. Ici, ce sont les pauvres qui sont de plus en plus nombreux. Au moins 14,5% de chômeurs à Rochefort, par exemple. Il y a peu, une entreprise de 800 salariés nous est encore passée sous le nez pour aller s’installer en Vendée.»(1) La déclaration d’utilité publique (DUP) a été signée en 2005. Elle sera caduque l’année prochaine, après un délai de dix ans. Il faudrait alors reprendre la procédure à son commencement.POLÉMIQUE. Fin juillet, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, a indiqué qu’elle bloquerait le projet d’autoroute A831 entre Fontenay-le-Comte (Vendée) et Rochefort (Charente-Maritime). Après une levée de boucliers des élus locaux, Manuel Valls a fait part de son intention de poursuivre la procédure, sans préjuger de son issue. Le bras de fer se poursuit
«»L’autoroute traverserait de part en part les marais poitevin et rochefortaisL’âge d’or des grands chantiers semble bien révoluFINANCEMENTLe bon maillage du pays, la maigreur des crédits et la prise en compte de l’environnement sont des freins majeurs au lancement dispendieux des projets. Un rapport officiel qui retoquait l’A 831 l’a rappelé il y a un anÀ la louche, 900 millions d’euros pour 64 kilomètres, soit 14 millions d’euros au kilomètre, telle est l’équation financière - à affiner - du projet d’autoroute A831 qui traverserait le marais poitevin. Pour mémoire, la dernière construction autoroutière à avoir suscité pareille polémique dans le Sud-Ouest est l’A65 entre Langon (Gironde) et Pau (Pyrénées-Atlantiques), un ruban long de 150kilomètres et achevé en décembre 2010.Cette infrastructure a coûté environ 1,2 milliard d’euros, soit 8 millions d’euros le kilomètre, un investissement très lourd pour le concessionnaire A’liénor, financé à 80% par les banques. Pour le rentabiliser, il a fallu allonger la durée de concession (de cinquante-cinq ans à soixante ans) et fixer des tarifs qui font tousser les automobilistes (22 euros à plein tarif aujourd’hui pour l’intégralité de l’itinéraire). Et prier pour que les prévisions de trafic s’avèrent conformes à la réalité, ce qui n’est pas le cas jusqu’à plus ample informé.Exemple à part, l’A65? Pas comparable en tous les cas aux 104 kilomètres du tronçon girondin et landais de l’A63, confié en 2011 à Atlandes sur l’ancienne RN10 gratuite Bordeaux-Bayonne. L’autoroute a été mise intégralement à deux fois trois voies en novembre 2013, pour une facture globale de 1,1 milliard d’euros, soit 10,6 millions d’euros le kilomètre. La durée de concession est nettement plus courte - quarante ans - à mettre en rapport avec un trafic très dense, de l’ordre de 30000 véhicules par jour en moyenne avec des pointes à 80000 véhicules par jour en été.Peu de chaînons manquantsDans le paysage des chantiers autoroutiers, l’A63 est l’exception récente qui confirme la règle. Les autoroutes ont quasiment fini de coloniser les grands axes du pays à la fin du XXe siècle. Les barreaux qui restent à construire n’accueilleront pas des trafics comparables. Alors même que les contraintes issues du Grenelle de l’environnement, en 2007, renchérissent considérablement les chantiers. Et que la politique des transports est censée flécher les crédits vers des modes de déplacement plus respectueux de l’environnement, comme le rail.Les sociétés d’autoroutes y regardent aujourd’hui à deux fois avant de s’engager. Depuis 2001 et la fin du régime dit «d’adossement», elles ne peuvent plus financer les nouveaux tronçons en prélevant des recettes sur les tronçons existants, les plus rentables. Le médicament, c’est le contribuable, appelé à abonder des «subventions d’équilibre» qui pèsent sur les budgets publics.Au-delà de 2050Ce constat n’a évidemment pas échappé aux élus et aux spécialistes rassemblés au sein de la commission Mobilité 21, mandatée par le gouvernement Ayrault pour élaborer un «schéma national de mobilité durable». Sorti en juin 2013, son rapport a fait le tri dans la liste délirante des grands projets d’infrastructures français (63!), liste qui valait bien le programme d’équipement du Qatar. La commission, qui a procédé à de nombreuses auditions, a rappelé quelques évidences. Le réseau routier français est déjà très étendu et «représente à lui seul plus de 20% de celui de l’Union européenne». Son entretien nécessite des investissements importants.In fine, le rapport Mobilité 21 a dégagé trois catégories: les priorités à engager, d’ici à 2030, les projets dont on peut poursuivre les études pour une réalisation entre 2030 et 2050, et les recalés au-delà de 2050 «dont les études devraient à ce stade être interrompues». Dans les deux scénarios financiers examinés, l’A831 a été reléguée en troisième classe. «Le projet soulève des controverses quant à son intérêt et à ses conséquences au plan environnemental» malgré un bilan socio-économique qualifié de «favorable», selon le rapport.Faut-il jeter l’analyse froide et rationnelle de la commission à la poubelle? Ou repêcher au fond de celle-ci, au nom du «développement économique», le projet qu’elle a classé verticalement? Les spécialistes des transports pointent généralement les limites de l’argument, une nouvelle infrastructure entraînant plus souvent un déménagement des richesses que la création de nouvelles richesses.