C'est la vieille dame qui s'est chargée de tout pour me recevoir. Le repas a commencé par un apéritif à base d'eau de sphaignes. La gorgée qu'elle avait versée dans un verre à liqueur était presque transparente, mais si on l'agitait, un petit fragment remontait du fond.
"Qu'elles poussent à cet endroit, c'est la preuve que l'eau est pure.
- Comme l'indique leur nom.
- Oui, cette espèce n'est pas aussi rare qu'on le pense. Sa couleur est légèrement diluée. Sa forme ressemble aussi à celle des algues. Si vous voulez, tenez."
La vieille dame me tendait une boîte de Petri et une loupe.
"En observant l'original avec ça, je crois que la préparation vous paraîtra encore plus savoureuse."
Suivant ses indications, j'ai regardé le contenu de la boîte de Petri à travers la lentille. La loupe qui grossissait dix fois tenait dans une main et avait été beaucoup utilisée, car la poignée était imprégnée de sébum.
"Portez la loupe à votre oeil et approchez-vous des mousses, oui, sans hésiter.
- Ah, on voit bien."
Ce que je prenais pour de simples mousses apparaissait derrière la lentille sous un jour nouveau. Je ne savais pas s'il fallait les appeler des tiges ou des feuilles, mais en tout cas elles étaient formées de différentes parties dont la complexité ne convenait absolument pas à la sèche appellation de mousse. Courbes entrelacées, surfaces transparentes, petits sacs miniatures, excroissances, opercules, poudres, poils. Tout cela regroupé en continu était allongé sur le fond de la boîte de Petri. Elles avaient l'air tout juste cueillies, et l'on pouvait constater que la fraîcheur était partout, jusqu'à leur moindre extrémité. Par endroits se cachaient des gouttelettes d'eau, qui tremblaient doucement au rythme de ma respiration. Et ces gouttes d'eau reflétaient la couleur des mousses.
J'ai éloigné mes yeux de la loupe et j'ai bu une gorgée d'apéritif.
La vieille dame avait une manière de servir merveilleuse. Bien sûr, elle apportait les plats juste au bon moment, ses explications concernant les mousses étaient exactes et concises, elle ne plaisantait ni ne relâchait son attention, elle ne se hâtait pas en prévoyant la suite, et tout en se tenant dans un coin de mon champ de vision, se comportait exactement comme si elle n'était pas là. Ce qui m'a le plus émerveillée, c'est sa façon de marcher quand elle se déplaçait avec le plateau, sans qu'il n'y ait de chocs de vaisselle. Ses socquettes vert foncé glissaient sans bruit sur les tatamis comme de petites créatures autonomes. Bref, elle était la copie conforme de la femme de l'auberge. Et si les mousses avaient pu se déplacer, elles auraient certainement eu la même démarche qu'elles.
Extrait de Manuscrit zéro de Yôko OGAWA
Un jour de septembre (vendredi)
Photos à Ohara (Japon) juillet 2007