« La couture est une maîtresse qui coûte beaucoup d’argent, elle n’a que sept ans à vivre »
Yves Saint-Laurent est sorti en salles le 8 janvier en France et le 15 août, ce seront les Québécois qui pourront aller regarder dans les cinémas ce film signé Jalil Lespert. On nous transporte en 1957 alors qu’Yves Saint-Laurent (Pierre Niney) travaille en tant que numéro deux à la maison Christian Dior. C’est la mort subite de ce dernier qui le propulse aux premières loges. Lors d’un défilé, il rencontre Pierre Bergé (Guillaume Gallienne) qui s’avéra être l’amour de sa vie. Quelques années plus tard, ils créent ensemble la société Yves Saint-Laurent qui propulse ce génie de la mode au firmament, mais la contrepartie à tout ce succès mondial, c’est la drogue, l’alcool et la dépression. Nous suivons donc durant près de trois décennies leur relation de couple, entrecoupée de défilés, d’incartades amoureuses et de fêtes arrosées. Bien que ce film compte un duo d’acteur qui crève l’écran et une magnifique mise en scène, on aurait apprécié une plus grande emphase sur le couturier et ses créations que sur la vie privée de l’homme. Beaucoup de stupéfiants et pas assez de tissus, Yves Saint-Laurent vaut tout de même le déplacement, quoique la concurrence et les comparaisons l’attendent au détour avec un autre film prévu sur la vie du créateur.
Succès professionnel, échec personnel?
Yves Saint-Laurent est pour ainsi dire un enfant prodigue. Depuis son plus jeune âge, il s’intéresse à la mode et c’est à 21 ans seulement qu’il est appelé à prendre la relève de la maison Christian Dior. « Trapèze », son premier défilé organisé au nom de celle-ci, remporte un vif succès. Dans l’assistance se trouve l’entrepreneur et homme d’affaires Pierre Bergé qui, très impressionné par son travail, se rapproche du couturier. Ami, puis amant, ils se lancent en affaires et les deux hommes se complètent à merveille. C’est Bergé qui s’occupe des relations publiques, de la marque et des ventes, laissant ainsi Saint-Laurent se concentrer sur la création uniquement. Ce dernier a beau récolter des lauriers à tous ses défilés, sa vie personnelle n’est pas des plus apaisantes. Diagnostiqué maniaco-dépressif, il a été l’objet de constantes moqueries dans son enfance. C’est peut-être aussi sa formation de séminariste qui explique sa réserve et timidité chronique alors qu’il est dans la vingtaine. Emporté dans le courant « libérateur » de la fin des années 60 et la pression de toujours émerveiller son public s’accentuant, l’alcool et la drogue et les relations sexuelles épistolaires viennent gâcher sa vie personnelle. C’est son conjoint qui le ramasse sans cesse à la petite cuiller, faisant preuve d’une patience angélique.
Yves Saint-Laurent qui démarre en 1957 et se termine sur le défilé de 1976 « Opéra-Ballets-Russes » est construit sous forme de tableaux et c’est l’interprète de Bergé qui assure la narration, assurant le pont entre ces différentes périodes. Dès lors, certains se sont interrogés sur l’objectivité de cette « biographie », d’autant plus que le vrai conjoint de Saint-Laurent a collaboré au film en donnant accès aux archives de la Fondation créée par le couple et mis à la disposition de la production les vêtements dessinés par le créateur. D’une part, jamais une biographie portée à l’écran sous forme de fiction ne peut être totalement objective. D’autre part, on décèle dans le film une réelle nuance quant aux deux personnages principaux. Pierre est peut-être froid, à la limite cruel, mais passe toujours l’éponge suite aux excès de son petit ami et fait preuve à son égard d’une compassion failles. De son côté, Yves, loin d’être égocentrique, nous est dépeint comme quelqu’un qui fait tout ce qu’il peut pour garder la tête hors de l’eau malgré ses dépressions chroniques et sa vulnérabilité provoquent la sympathie chez le téléspectateur. Dans Yves Saint-Laurent, on est surtout frappé de la ressemblance entre le célèbre couturier et Pierre Niney, alors que Guillaume Gallienne, l’acteur récemment césarisé pour Les garçons et Guillaume à table, nous offre une fois encore une prestation solide toute en nuances.
Trop terne
À l’opposé, ce qui déçoit dans le film, c’est le trop peu d’importance accordée à la mode (ironiquement, la bande-annonce ci-dessus tente de nous faire croire le contraire). Dès les premières minutes, on ne peut s’empêcher de penser à Coco avant Chanel (2009) d’Anne Fontaine qui nous donne un aperçu de ce qu’était la mode (pour le moins tyrannique) du début du XXIe siècle pour les femmes. Dans Yves Saint-Laurent, le protagoniste dit à un moment :« Mon seul combat, c’est d’habiller les femmes ». On sait que le couturier s’est inspiré des peintres de son époque pour créer ses collections, qu’il s’agisse de Mondrian, Picasso, Matisse ou Cocteau. Or, on met peu d’emphase sur son esprit créatif; du pourquoi il s’inspirait de ces peintres, quelle était sa démarche artistique, etc. Comme l’écrit Didier Péron dans sa critique : « Les éléments biographiques sur Saint Laurent, les différents thèmes qui ont jalonné son parcours défilent sur le podium, virevoltent en nous, faisant un clin d’œil puis filent en coulisse se rhabiller fissa. » On est surtout déçu par les montages qui mettent peu en valeur les robes lors des différents défilés : la caméra se cantonnant la plupart du temps à des plans rapprochés et assez brefs. Enfin, Toute la mise en scène du film est dans les tons de gris, beige et brun et manque de couleurs chatoyantes, lesquelles auraient pu créer un pont avec les différentes créations de Saint-Laurent.
Durant les 14 semaines où le film a été à l’affiche en France, on compte plus de 1 600 000 entrées, ce qui en fait un succès de l’année. Force est d’admettre qu’il y a un fort intérêt des Français pour le célèbre couturier puisqu’un autre film intitulé Saint-Laurent est attendu en salles en France vers la fin septembre. Présenté à Cannes, le film réalisé par Bertrand Bonello met en vedette Jérémie Renier et Gaspard Ulliel et couvre uniquement la période 1967-1976. Ce dernier, plus romancé et axé sur la relation entre Yves Saint-Laurent et son amant Jacques de Bascher, lequel des deux sortira gagnant? Réponse très bientôt.