Comment nos partis politiques instrumentalisent les guerres du Proche-Orient

Publié le 14 août 2014 par Juan

L'emballement de la guerre en Irak et les persécutions dont est victime la communauté chrétienne a replacé l'islam, en France, au centre des fantasmes et des dérapages.

On aurait pu espérer davantage de discernement, il n'en est rien.


Fantasmes et éructations
La responsable d'une association d'extrême droite vient d'être condamnée à 3.000 euros d'amende pour avoir qualifié l'islam de "saloperie". Une semaine auparavant, le Figaro profitait de la fin du Ramadan pour s'attarder avec inquiétude et danger sur les livres religieux traitant du djihad, publiés par un éditeur libanais.
En juillet dernier, le ministre de l'intérieur a présenté une loi sur le terrorisme, qui fera l'objet d'un examen parlementaire dès la session d'urgence de l'Assemblée convoquée par François Hollande dès le 9 septembre. Elle vise spécifiquement ces "djihadistes français" qui partent en Syrie ou ailleurs. Cette semaine, notre presse nationale s'emballe sur la photo tweetée par un jdihadiste australien figurant son fils de 7 ans tenant de ses deux mains la tête d'un soldat syrien décapité.
Bref, on accumule les faits, plus ou moins divers, suffisants pour faire peur et entretenir le feuilleton.

Une France a toujours un problème avec l'islam. C'est visible, évident, quotidien... Et ce n'est pas nouveau. Les guerres actuellement en cours au Proche-Orient ravivent les plaies et les fantasmes.
"Une France" ? Il est impossible de la réduire à l'ensemble du pays. Mais pourtant, force est de constater que ce pays est désormais incapables de "traiter" de l'islam sans rage, rancoeur ni caricature, ni à froid, ni à chaud.  Certes, il y a quelques manifestations oecuméniques ici ou là, mais elles semblent marginales dans notre actualité française en comparaison de la phobie générale qui embrasse le pays.
Les musulmans sont les nouveaux boucs-émissaires que l'on charge de tous nos maux. Dans son dernier bouquin, Edwy Plenel dresse habilement et justement un comparatif avec les juifs des années 30. Les périodes troubles et de Grande Crise attirent les caricatures.
Dans les années 30, c'était le "Juif". Aujourd'hui, c'est le "Musulman". Ce dernier reste un repoussoir politique d'autant plus efficace que (1) l'islam est la religion officielle de nombre d'Etats dans le monde; (2) qu'il sert de prétexte et/ou de revendication de nombre d'actions armées dans le monde qui nous entourent; (3) qu'il est l'objet de nombre de conflits fratricides au Proche-Orient.
"Oui. L'islam est né laïc. "Nulle contrainte en matière de religion." Le Coran est le seul livre sacré qui dise cette phrase, si claire, si laïque." Mohamed Talbi, dans Jeune Afrique

Embrasement
Ces derniers mois, la "contre-révolution arabe" a frappé l'Irak et la Libye, tandis que la Syrie poursuit sa descente en enfer: dans chacun de ces pays, les musulmans modérés ne s'expriment pas ou peu, laissant libre cours et toutes violences disponibles aux mouvements les plus radicaux, chiites et sunites, qui revendiquent d'installer une loi religieuse au cas quand ils parviennent au pouvoir, et, dans l'immédiat, la guerre civile totale.
Par un amalgame facile et régulier, une belle et large fraction de la classe politique française utilise encore et toujours l'islam pour faire peur dans les chaumières, divertir l'attention de problèmes pourtant plus proches et plus durables, comme la précarisation générale du pays ou de l'Europe.
L'embrasement au Proche-Orient devrait pourtant appeler à plus de discernement. Il n'en est rien.
Dans cette dérive, l'extrême droite, la droite et une partie de la gauche politique s'enfoncent encore et toujours.
1. Que l'extrême droite revendique les pires propos, les pires caricatures, l'éructation quotidienne contre le bouc-émissaire du moment n'a rien de surprenant. Le 11 août dernier, la présidente d’un groupuscule d’extrême droite a été condamnée à 3 000 euros d’amende assortie de 1.500 euros avec sursis vendredi pour des propos injurieux contre l’islam.
2. La droite dite classique n'est pas en reste. Le quinquennat précédent, avec ses envolées sur nos racines chrétiennes, son débat sur l'identité nationale, ses saillies sur l'islam au sommet de l'Etat, a fait des ravages au point qu'Alain Juppé lui-même, après la défaite de mai 2012, s'en soit inquiété publiquement. On se souvient des déclarations de Christian Estrosi, en juillet 2013, qui affirmait qu'islam et démocratie étaient "incompatibles". Cet été, les mêmes hurlent contre le danger djihadiste.
3. La gauche de gouvernement lui emboite le pas. On croit rêver. Le 2 août dernier, les services de Bernard Cazeneuve arrêtaient un "djihadiste" à l'aéroport, communiqué de presse à l'appui. Le gouvernement Valls a repris à son compte l'épouvantail djihadiste, comme si quelques centaines d'illuminés qui choisissaient la mort lointaine était plus dangereux que 500.000 sans-emploi supplémentaires en à peine deux ans.
4. Plus à gauche encore, on préfère commenter l'islamophobie davantage que l'islam ou les islamismes qui, pourtant, font parler d'eux. Par un paradoxe que l'on devrait davantage souligner, cette gauche est plus indulgente avec l'islam que d'autres religions. Parfois, elle se réveille enfin à la faveur d'un conflit intra-religieux plus grave que d'habitude.
Une croisade ?
La guerre en Irak, qui s'accélère, a pris une nouvelle tournure depuis qu'un Etat islamique - sunnite - s'est autoproclamé dans le centre du pays. La chaîne internet Vice News vient de publier un édifiant documentaire sur ce Califat. Mi-juin, le Parti de gauche rappelait que cet Etat islamique était la conséquence directe de l'échec américain dans la région.
En France, François Hollande semble passer ses vacances au téléphone avec les grands du monde. Un appel à Barrack Obama, un autre à Massoud Barzani, le président du Kurdistan irakien. Les Etats-Unis n'ont pas attendu un aval de l'ONU pour bombarder dès cette semaine. La France envoie des vivres, des médicaments et du matériel aux Kurdes.  L'UMP et les écologistes applaudissent ! C'est l'union nationale !
Le déclic occidental est surtout venu avec les premiers témoignages de persécutions... des chrétiens d'Irak. Même Bernard Kouchner se réveille !
Tant que la guerre civile irakienne se déroulait entre mouvements aux revendications variées et lointaines (Kurdes, sunnites, chiites), l'attention médiatique était faible. Voici maintenant qu'une France se rappelle ses "racines chrétiennes". Les réfugiés, pourvus qu'ils soient chrétiens, sont les bienvenus.
Le FN choisit sans surprise de se démarquer.  Sur l'Irak, il prône une intervention militaire française contre l'Etat islamique: "Pôle de référence djihadique mondial mais également point attracteur d’islamistes de nationalité française, l’Etat islamique doit rapidement être détruit, faute de quoi il est promis à un grand avenir" écrit le conseiller de Marine Le Pen sur les questions internationales. Et d'invoquer les racines chrétiennes et tout le toutim ! "Certes laïque, la France n’en est pas moins historiquement une nation catholique, fille aînée de l’Eglise. Elle a, depuis les Croisades et la libération du tombeau du Christ, un devoir particulier envers ses frères chrétiens d’Orient."
Le mot est lâché !  
Le FN réclame une croisade.

Le feuilleton peut se poursuivre.
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