Sacré Orélifilipéti ! L’onomatopée officielle du gouvernement et ministre de la Culture à ses heures creuses a décidé, une nouvelle fois, d’entrer en lutte contre le monde méchant aux aspérités trop prononcées. Apprenant, sans doute par un coup de fil d’un des lobbyistes abonnés à son cabinet, qu’Amazon et Hachette se disputaient âprement par voie de presse le droit de baisser ou geler le prix du livre électronique, elle s’est donc empressée de prendre immédiatement (et bruyamment position). Contre Amazon, bien sûr.
Avec la fougue et la pertinence qui la caractérisent depuis qu’elle grenouille à son poste, la ministricule s’est donc employée à expliquer sa position, pas toujours claire mais tout de même très tranchée. Pour Aurélie, pas de doute : en utilisant sa position dominante, Amazon forcerait les auteurs de livres à accepter une baisse du prix de leurs productions en format électronique, afin d’offrir un meilleur rapport qualité-prix aux consommateurs qui, plus nombreux, compenseraient largement cette baisse. Et comme certains auteurs et distributeurs, au premier rang desquels se trouve Hachette, refusent cette baisse, Amazon a décidé de ne pas diffuser leurs produits. Et ça, c’est scandaleux. Pardon. C’est « inqualifiable » :
« Cet épisode est une nouvelle révélation des pratiques inqualifiables et anticoncurrentielles d’Amazon. C’est un abus de position dominante et une atteinte inacceptable contre l’accès aux livres. Amazon porte atteinte à la diversité littéraire et éditoriale. »
Oui, vous avez bien compris : en choisissant ce qu’il mettrait sur ses étagères virtuelles, le libraire Amazon se comporte comme un goujat inqualifiable avec des gros morceaux d’anticoncurrence et d’atteinte contre l’accès aux livres qui est un Droit de l’Homme imprescriptible. Notez tout de même que, de son côté, lorsque Hachette fait la même chose (et se fait enquiquiner par la justice américaine exactement pour ça), là, en revanche, Aurélie ne dit rien. Les droits de l’homme imprescriptibles d’avoir de la bonne bibliodiversité et de l’éditoralité citoyenne ne s’étendent pas aux acteurs français du marché, anti-américanisme primaire oblige.
Mais voilà. Si l’on y réfléchit deux minutes, toute cette affaire démontre encore l’ineptie des saillies ministérielles.
Comme le souligne fort justement Frédéric Mas dans un récent article sur Contrepoints, la ministre n’a rien à faire dans cette histoire. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle elle s’empresse d’émettre un maximum de décibel avec ses muscles vocaux, mais la question demeure : que vient-elle faire dans ce conflit ? Les acteurs concernés sont privés, et ont une querelle privée que des tribunaux, hors de France, seraient en mesure de juger et ce, même sans l’indispensable opinion de Filippetti. Les griefs des uns et des autres, en outre, n’intéressent en rien la ministricule : ou bien Amazon gagne, et le prix des livres électronique baissera, ce qui est excellent pour la diffusion de la culture (Aurélie, si elle était cohérente, devrait donc être pour). Et si Hachette gagne, des auteurs pourront continuer à voir leur production s’écouler par le géant internet (et là encore, Aurélie aurait tort d’être contre). Autrement dit, peu importe l’issue de la querelle picrocholine qui anime les parties prenantes de ce conflit, la Culture n’apparaît absolument pas menacée, et les auteurs et leurs livres trouveront toujours leur public.
Une autre question titille l’esprit : pourquoi prend-elle parti contre Amazon ? Comme on l’a vu, prendre parti est tout de même assez incohérent pour une ministre de la Culture qui, de surcroît, clame ubi & orbi qu’elle défend un « écosystème du livre en entier, pas un acteur en particulier ». Tous les observateurs ont du mal à comprendre pourquoi, dans la bouche de Filippetti, c’est toujours, systématiquement, Amazon qui prend une avoinée. Coïncidence ? Au bout d’un certain nombre d’occurrences (on ne les compte même plus), on n’y croit plus. D’ailleurs, même Aurélie ne croit pas à ses propres bobards lorsqu’elle ajoute :
« Ce sont des banderilles que nous continuerons à planter dans le flanc d’Amazon »
Et vlan. C’est donc bien d’un combat qu’il s’agit, et celui qu’il faut abattre ne fait aucun doute. Pour la ministre, Amazon doit tomber. Quand ce n’est pas pour le prix unique du livre (qui a fait tant de bien à la France comme en témoigne le nombre toujours plus faible de petits libraires), ce sera contre l’exemption des frais de ports (contournée par le vendeur internet avec facturation d’un centime, manœuvre habile et camouflet magnifique pour nos législateurs en culotte courte). Et tant pis si ce conflit, parfaitement ridicule, aurait dû être arbitré par le consommateur, et seulement lui. Tant pis si les exactions de la ministre aboutissent systématiquement au renchérissement des biens et services proposés par les uns et les autres (Amazon ici), et que le consommateur, toujours lui, se trouve lésé. Il faut bien comprendre quelque chose : la ministre se fiche du pouvoir d’achat des Français. Les consommateurs, elle s’en tamponne vigoureusement. Autant elle fera assaut d’hypocrisie et de petites bassesses pour l’électeur, autant le contribuable la laisse totalement froide et le consommateur, indifférente. Ne l’oubliez pas : pour une socialiste, ces considérations pour le consommateur sont de l’ordre du scatologique. On n’en parle pas, on n’y fait pas attention, et jamais, ô grand jamais, on n’y met les doigts. C’est sale. Berk.
Et puis, qu’a-t-elle donc à gagner en prenant ainsi parti ?
Oh, bien sûr, il semble évident que les collusions habituelles des politiciens et du capitalisme de connivence (représenté, ici, par Hachette et sa clique) ne sont plus à démontrer. Nul doute ici que la ministre bénéficiera un jour d’un retour d’ascenseur. Il faudra sans doute attendre quelques années, mais on ne peut pas écarter de retrouver un jour l’effervescente pimbêche à la tête d’un des services du groupe d’édition français, tout comme il fut évident, il y a quelques années, que le soutien presque amoureux d’Albanel à Orange / France-Télécom lui permettrait, un jour ou l’autre, de décrocher une sinécure dans la grosse entreprise. Soit, donc : on comprend que Filippetti ne fait pas tout ça gratuitement.
Cependant, on a tout de même du mal à comprendre pourquoi les politiciens français ont, de façon assez générale et répétée, ce flair assez phénoménal pour se placer toujours du côté des perdants. Et même si, du point de vue strictement individuel, Filippetti se sortira très correctement de cette affaire (là encore, le contribuable puis le consommateur sera perdant, mais on s’en fiche, c’est un ensemble bien plus vaste que ses électeurs, seuls capable d’éveiller chez elle un intérêt quelconque), il n’y a pas besoin de réfléchir très longtemps pour comprendre qu’en soutenant Hachette, elle soutient en réalité une société qui finira, quoi qu’il arrive, par s’adapter au marché ou périr. Or, cette adaptation ne passera pas par l’augmentation des prix des livres numériques. Elle ne passera pas par le verrouillage plus ou moins complet du marché à coup de lois débiles comme savent les pondre compulsivement nos psychopathes politiciens. Amazon ne fait pas un pari très audacieux en organisant sa stratégie sur la baisse des prix du dématérialisé. Et Hachette pliera, ou cassera, mais ne pourra pas imposer ses vues très longtemps. Ce petit lobbying, ces gentils bricolages politiciens ne sont que des façons pour la société de gagner du temps afin, justement, de s’adapter.
Parce que, lorsqu’on lit la petite prose interne de Hachette (Lagardère Publishing) concernant, notamment, sa stratégie électronique, on se rend compte que la société a parfaitement intégré l’augmentation progressive du média « livre électronique » dans sa stratégie de développement et comprend en réalité très bien les enjeux du marché. Nul doute que les têtes pensantes de Hachette, autrement plus en prise avec leurs clients que l’Onomatopée ne l’est avec ses propres électeurs, ont déjà intégré, à moyen ou long terme, cette baisse progressive du prix des livres électroniques.
Autrement dit, Filippetti, en parfaite politicienne (consciente ou non, allez savoir), n’est qu’un accessoire pratique, un ministre-objet destiné à ralentir Amazon dans son expansion, un dindon d’une farce commerciale jouée ici au détriment du consommateur.
Ni plus, ni moins.
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