La fabuleuse histoire de la cuisine française (suite)
Ce chef français travaille en Angleterre et commande un jour dans un restaurant de Londres sur la carte, un » homard à l’américaine « . On lui sert une salade de homard de conserve et, comme il réclame, le maître d’hôtel, pour lui prouver sa bonne foi, lui apporte la boite en fer blanc et lui désigne avec un air de reproche l’inscription : » made in Chicago « .
Citons encore Voisin dont la cave commencée vers 1860 par M. Bellangé avec une collection de merveilleux Bourgogne qu’il achète en Belgique devient » la plus belle bibliothèque bachique composée à Paris « . Elle sera dispersée en 1937. Le dernier propriétaire du Voisin, M. Braquessac l’a considérablement accrue ; aussi n’y-a-t-il pas trace de restriction dans les vins servis lors du fameux dîner du 25 décembre 1870, au cours du siège de Paris dont nous reproduisons le menu:
Menu du 25 décembre 1870. 99 me jour du siège
Hors d’Oeuvre :
Beurre, radis, Tête d’âne farcie, Sardines
Potages
Purée de Haricots rouge aux Croûtons
Entrées
Consommé d’Eléphant
Goujons frits, Le Chameau rôti à l’anglaise
Le Civet de Kangourou
Côtes d’Ours rôties sauce poivrade
Rots
Cuissot de Loup sauce Chevreuil
Le Chat flanqué de Rats
Salade de Cresson
La Terrine d’Antilope aux Truffes
Cèpes à la Bordelaise
Petits-Pois au Beurre
Entremets
Gâteau de Riz aux Confitures
Dessert
Fromage de Gruyère
Vins
Ier Service : Xérès, Latour-Blanche 1861, Château Palmer 1864
2 me Service : Mouton-Rothschild 1846, Romanée Conti 1858
Bellenger frappé, Grand Porto 1827.
Café et Liqueurs.
Le Jardin d’Acclimatation, situé au Bois de Boulogne, se trouve trop exposé au feu de l’ennemi et vient de livrer ses animaux comestibles à la consommation.
Mais » le chat flanqué de rats » est certainement « placé là pour faire bien « . Il est même probable qu’il fut vraiment servi. Le lendemain 26 décembre 1870, Tortoni affiche le menu suivant :
Tête de veau sauce verte
Tortue à l’huile
Filet de bœuf sauce poivrade
Pommes sautées cèpes bordelais
Salade de légumes
Sorbets rhum et kirsch
Entremets sucrés
Soufflés de Nonnes, beignets de pommes
Pommes, poires, biscuits, mendiants
Fromages
Vins, café, liqueurs.
C’est pourtant le 100 e jour d’investissement de Paris et les pauvres gens meurent de faim et de froid.
Tous les grands restaurants de Paris connaissent un personnage particulièrement original et … dangereux : » l’assassin à la fourchette « .
Son nom est Gourier. C’est un riche propriétaire foncier qui s’amuse à choisir un invité à l’année et à le tuer à table. La victime désignée ne résiste généralement pas plus d’un an à ce genre de régime. Doté d’un appétit phénoménal, » le père Gourier « , comme l’appellent familièrement les serveurs, entraîne son hôte peu habitué à de telles agapes, ne supportant pas de le voir en reste. Lorsque le père Gourier paraît accompagné d’un nouvel invité, les garçons s’inquiètent du précédent et le père Gourier de répondre » Je l’ai enterré, ce matin même. J’aurai cru l’avoir avant ! » ou bien » celui-ci ne faisait pas le poids, je l’ai eu en deux mois à peine ! «
Chavette qui, sur ce cas, se livre à une enquête approfondie, ne peut cependant préciser si Ameline fut la huitième ou neuvième victime choisie. Second assistant de Monsieur de Paris, cet homme est doté d’un formidable appétit et il n’a aucune tendance à l’embonpoint.
On dit qu’il a » les cuisses creuses « . Ameline sait ce qui l’attend à la table du père Gourier; aussi s’arrange-t-il pour disparaître de temps à autre, deux ou trois jours, et soulage son estomac en absorbant de l’huile de ricin. Presque chaque soir, les deux hommes dînent ensemble et deux ans passent , Ameline tient toujours. Gourier s’énerve, jure qu’il l’aura comme les autres. Mais un soir, au Canard Bleu, alors qu’il se fait servir sa quatorzième tranche d’aloyau; sous l’oeil goguenard d’Ameline qui lui aussi vient de se resservir, Gourier se renverse en arrière, puis plonge dans son assiette. L’assassin à la fourchette est mort, fourchette en main.
( à suivre.. )
Source : La fabuleuse histoire de la Cuisine Française d’Henriette Parienté et Geneviève de Ternant. O.D.I.L.