« Du poético-politique ? C’est encore ce qu’on n’évite pas de pratiquer dans l’acte même de traduire – et spécialement (c’est mon expérience) en collaboration. Traduire un poème, c’est se rendre, en l’une et l’autre des langues concernées, langagièrement disponible ; c’est se défaire des idées ou images reçues (dont, peut-être, on ne se savait pas la proie) de la poésie en général, et, non moins, de chacune des langues et du prétendu « bon usage ». C’est oser, quand il le faut, se livrer à une véritable créativité linguistique… Chateaubriand, traduisant Milton, ose parfois – et proclame qu’il ose – aller contre les normes en matière de genres des substantifs (de « la mort » il fait, sous la pression des images sexualisées de Milton, un masculin – anticipant le « O mort, vieux capitaine » de Baudelaire) ou de construction des verbes …
Rien, peut-être, de plus anti-identitaire que la poésie et la traduction de poésie – même si les questions d’appartenances linguistiques ne sont évidemment pas indifférentes et prennent des valeurs différentes selon les situations historiques. »
Claude Mouchard, in entretien avec Patrice Beray, paru sur le site Mediapart