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Brouillard (J C Pirotte)

Publié le 12 août 2014 par Despasperdus

« On écrit, dit-on, toujours le même livre. Au déclin de l'âge, une ardeur suspecte s'empare de l'esprit, les péripéties du passé reviennent en foule et se bousculent dans l'espoir de réapparaitre au dernier soleil. »

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Avant de présenter Brouillard, je dois avouer que j'ai vraiment aimé ce court, trop court, récit à une voix. Composé de brefs chapitres intitulés "carnets", et datés, le narrateur livre ses impressions de jeune homme en y entremêlant des brides de sa vie présente.

« La mémoire est tapissée de miroirs trompeurs et de miroirs déformants. A mesure que l'on s'avance en âge, les reflets se brouillent et les miroirs se fêlent et s'obscurcissent. La mémoire, note Joubert, est le crible de l'oubli. »

Si les carnets narrent ses débuts dans la vie adulte, ses rapports avec ses parents, inexistants avec son père, complexes avec sa femme, ses amitiés "délinquantes", son attachement à son enfant, sa passion pour l'écriture et la littérature, son besoin de solitude, de liberté et de simplicité, le temps présent n'est jamais absent.

« J'ai dépassé la septantaine et je n'ai cessé durant toutes ces années de me consacrer à ma disparition. Et je n'ai toujours pas disparu, même si les occasions de mourir ne m'ont pas manqué. Je me suis borné à déménager le plus souvent possible, à vivre n'importe où, dans les endroits les moins recherchés, au hasard de rencontres ou de coups de tête. On ne choisit pas son mode d'existence, on est largué ici ou là, on s’accommode de tout et de rien, le plus souvent de rien, et l'on survit en dépit du bon sens. Tout cela est d'une écœurante banalité. »

Tout au long de la lecture, je n'ai pu m'empêcher de me demander parfois si certains passages relevaient de la fiction, et d'autres de l'autobiographie... Et finalement, l'essentiel n'est pas là. Ce passé romancé et ce présent si dur et cruel qui s'entremêlent, se nourrissent et donnent de la puissance au récit.

« Si j'envisage ce vieux cancer en pleine expansion, je souris. Il me semble me sentir plus vivant depuis que "je sais". Je suis resté trop longtemps, ces derniers mois, sans "savoir", à ne faire que soupçonner, et même à m'entendre affirmer par un médicastre : "Vous n'avez rien." Bien-sûr on pourrait ordonner des examens infinis, mais à quoi bon ? Vieux, on devient sourd peu à peu. »

Brouillard n'est pas une confession, mais le regard lucide, pudique et franc, empreint de poésie et de nostalgie, d'un vieil homme sur le jeune homme qu'il fut et qu'il est finalement demeuré en lui restant fidèle...

« Je manque d'instinct, dit-on de moi. Du moins une voix en moi profère ce jugement : tu manques d'instinct. Ou : tu manques d'empathie, ce qui semble pire. Souffrir seul, est-ce donc un crime ? Je vois bien, dans cet hôpital, que l'on peut souffrir en silence, et même avec le sourire. »

Le vieil homme avait une belle plume. Il est décédé au printemps dernier, des suites d'une longue maladie, selon la formule consacrée... A lire.


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